Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/344

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veines entr’ouvertes, en y versant des ruisseaux de plomb fondu et d’huile bouillante.

— Oui, dit le brigand pensif, tu as bien aussi tes plaisirs.

— En somme, continua le bourreau, quoique tu sois Han d’Islande, je crois qu’il s’est encore envolé plus d’âmes de mes mains que des tiennes, sans compter celle que tu rendras demain.

— En supposant que j’en aie une. — Crois-tu donc, bourreau du Drontheimhus, que tu pourrais faire partir l’esprit d’Ingolphe du corps de Han d’Islande, sans qu’il emportât le tien ?

La réponse du bourreau commença par un éclat de rire.

— Ah, vraiment ! nous verrons cela demain.

— Nous verrons, dit le brigand.

— Allons, dit le bourreau, je ne suis pas venu ici pour t’entretenir de ton esprit, mais seulement de ton corps. Écoute-moi ! — Ton cadavre m’appartient de droit après ta mort ; cependant la loi te laisse la faculté de me le vendre ; dis-moi donc ce que tu en veux.

— Ce que je veux de mon cadavre ? dit le brigand.

— Oui, et sois consciencieux.

Han d’Islande s’adressa au guichetier :

— Dis-moi, camarade, combien veux-tu me vendre une botte de paille et un peu de feu ?

Le guichetier resta un moment rêveur :

— Deux ducats d’or, répondit-il.

— Eh bien, dit le brigand au bourreau, tu me donneras deux ducats d’or de mon cadavre.

— Deux ducats d’or ! s’écria le bourreau. Cela est horriblement cher. Deux ducats d’or un méchant cadavre ! Non, certes ! je n’en donnerai pas ce prix.

— Alors, répondit tranquillement le monstre, tu ne l’auras pas !

— Tu seras jeté à la voirie, au lieu d’orner le musée royal de Copenhague ou le cabinet de curiosités de Bergen.

— Que m’importe ?

— Longtemps après ta mort, on viendrait en foule examiner ton squelette, en disant : Ce sont les restes du fameux Han d’Islande ! on polirait tes os avec soin, on les rattacherait avec des chevilles de cuivre ; on te placerait sous une grande cage de verre, dont on aurait soin chaque jour d’enlever la poussière. Au lieu de ces honneurs, songe à ce qui t’attend, si tu ne veux pas me vendre ton cadavre ; on t’abandonnera à la pourriture dans quelque charnier, où tu seras à la fois la pâture des vers et la proie des vautours.