Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/351

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— Signe de croix du démon ! murmura le bourreau.

— Je veux être leur second père. Écoute, frère, je suis puissant, j’ai du crédit…

Le frère répondit d’un accent sinistre :

— Je sais que tu en avais !… À présent ne songe plus qu’à celui que tu as sans doute su te ménager près des saints.

Toute espérance disparut du front du condamné.

— Ô Dieu ! que signifie ceci, cher Nychol ? Je suis sauvé, puisque je te retrouve. — Songe que le même ventre nous a portés, que le même sein nous a nourris, que les mêmes jeux ont occupé notre enfance ; souviens-toi, Nychol, que tu es mon frère !

— Jusqu’à cette heure, tu ne t’en étais pas souvenu, répondit le farouche Nychol.

— Non, je ne puis mourir de la main de mon frère !

— C’est ta faute, Turiaf. — C’est toi qui as rompu ma carrière ; qui m’as empêché d’être exécuteur royal de Copenhague ; qui m’as fait jeter, comme bourreau de province, dans ce misérable pays. Si tu n’avais point agi ainsi en mauvais frère, tu ne te plaindrais pas de ce qui te révolte aujourd’hui. Je ne serais point dans le Drontheimhus, et ce serait un autre qui ferait ton affaire. — Nous en avons dit assez, mon frère, il faut mourir.

La mort est hideuse au méchant, par le même sentiment qui la rend belle à l’homme de bien ; tous deux vont quitter ce qu’ils ont d’humain, mais le juste est délivré de son corps comme d’une prison, le méchant en est arraché comme d’une forteresse. Au dernier moment, l’enfer se révèle à l’âme perverse qui a rêvé le néant. Elle frappe avec inquiétude sur la sombre porte de la mort, et ce n’est pas le vide qui lui répond.

Le condamné se roula sur le plancher en se tordant les bras avec une plainte plus déchirante que la lamentation éternelle d’un damné.

— Miséricorde de Dieu ! Saints anges du ciel, si vous existez, ayez compassion de moi ! Nychol, mon Nychol, au nom de notre mère commune, oh ! laisse-moi vivre !

Le bourreau montra son parchemin.

— Je ne puis ; l’ordre est précis.

— Cet ordre ne me concerne pas, balbutia le désespéré prisonnier ; il regarde un certain Musdœmon, ce n’est pas moi ; je suis Turiaf Orugix.

— Tu veux rire, dit Nychol en haussant les épaules. Je sais bien qu’il s’agit de toi. D’ailleurs, ajouta-t-il durement, tu n’aurais point été hier, pour ton frère, Turiaf Orugix ; tu n’es pour lui aujourd’hui que Turiaf Musdœmon.