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BUG-JARGAL.

Il y avait quelque chose de joyeux dans cette voix sépulcrale qui annonçait la mort ; je l’écoutai avec indifférence et mépris.

— Sorcier, lui dis-je avec un sourire de dédain, tu es habile, tu pronostiques à coup sûr.

Il se rapprocha encore de moi.

— Tu doutes de ma science ! eh bien ! écoute encore. — La rupture de la ligne du soleil sur ton front m’annonce que tu prends un ennemi pour un ami, et un ami pour un ennemi.

Le sens de ces paroles semblait concerner ce perfide Pierrot que j’aimais et qui m’avait trahi, ce fidèle Habibrah, que je haïssais, et dont les vêtements ensanglantés attestaient la mort courageuse et dévouée.

— Que veux-tu dire ? m’écriai-je.

— Écoute jusqu’au bout, poursuivit l’obi. Je t’ai dit de l’avenir, voici du passé : — La ligne de la lune est légèrement courbée sur ton front ; cela signifie que ta femme t’a été enlevée.

Je tressaillis ; je voulais m’élancer de mon siège. Mes gardiens me retinrent.

— Tu n’es pas patient, reprit le sorcier ; écoute donc jusqu’à la fin. La petite croix qui coupe l’extrémité de cette courbure complète l’éclaircissement. Ta femme t’a été enlevée la nuit même de tes noces.

— Misérable ! m’écriai-je, tu sais où elle est ! Qui es-tu ?

Je tentai encore de me délivrer et de lui arracher son voile ; mais il fallut céder au nombre et à la force ; et je vis avec rage le mystérieux obi s’éloigner en me disant :

— Me crois-tu maintenant ? Prépare-toi à ta mort prochaine !