Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/635

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les défenseurs de la saine littérature ? Je voudrais être, et mes réquisitoires m’en donneraient peut-être le droit, membre de l’académie française… – Voilà justement monsieur Ergaste, qui en est. Que pense-t-il du Dernier Jour d’un condamné ?

ergaste.

Ma foi, monsieur, je ne l’ai lu ni ne le lirai. Je dînais hier chez Mme  de Sénange, et la marquise de Morival en a parlé au duc de Melcour. On dit qu’il y a des personnalités contre la magistrature, et surtout contre le président d’Alimont. L’abbé de Floricour aussi était indigné. Il paraît qu’il y a un chapitre contre la religion, et un chapitre contre la monarchie. Si j’étais procureur du roi !…

le chevalier.

Ah bien oui, procureur du roi ! et la charte ! et la liberté de la presse ! Cependant, un poëte qui veut supprimer la peine de mort, vous conviendrez que c’est odieux. Ah ! ah ! dans l’ancien régime, quelqu’un qui se serait permis de publier un roman contre la torture !… – Mais depuis la prise de la Bastille, on peut tout écrire. Les livres font un mal affreux.

le gros monsieur.

Affreux. – On était tranquille, on ne pensait à rien. Il se coupait bien de temps en temps en France une tête par-ci par-là, deux tout au plus par semaine. Tout cela sans bruit, sans scandale. Ils ne disaient rien. Personne n’y songeait. Pas du tout, voilà un livre… – un livre qui vous donne un mal de tête horrible !

le monsieur maigre.

Le moyen qu’un juré condamne après l’avoir lu !

ergaste.

Cela trouble les consciences.

madame de blinval.

Ah ! les livres ! les livres ! Qui eût dit cela d’un roman ?

le poëte.

Il est certain que les livres sont bien souvent un poison subversif de l’ordre social.

le monsieur maigre.

Sans compter la langue, que messieurs les romantiques révolutionnent aussi.