Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/69

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— Il sait que c’est un ami, et cela lui suffit, comme à nous.

— Mais vous, seigneur général, dit la comtesse avec un coup d’œil pénétrant, saviez-vous en tolérant, et même en formant cette liaison, que Schumacker avait une fille ?

— Je le savais, noble comtesse.

— Et cette circonstance vous a semblé indifférente pour votre élève ?

— L’élève de Levin de Knud, le fils de Frédéric Guldenlew est un homme loyal. Ordener connaît la barrière qui le sépare de la fille de Schumacker ; il est incapable de séduire, sans but légitime, une fille, et surtout la fille d’un homme malheureux.

La noble comtesse d’Ahlefeld rougit et pâlit ; elle tourna la tête, cherchant à éviter le regard calme du vieillard comme celui d’un accusateur.

— Enfin, balbutia-t-elle, cette liaison, général, me semble, souffrez que je le dise, singulière et imprudente. On dit que les mineurs et les peuplades du Nord menacent de se révolter, et que le nom de Schumacker est compromis dans cette affaire.

— Noble dame, vous m’étonnez ! s’écria le gouverneur. Schumacker a jusqu’ici supporté tranquillement son malheur. Ce bruit est sans doute peu fondé.

La porte s’ouvrit en ce moment, et l’huissier annonça qu’un messager de sa grâce le grand-chancelier demandait à parler à la noble comtesse.

La comtesse se leva précipitamment, salua le gouverneur, et, tandis qu’il continuait l’examen des placets, se rendit en toute hâte à ses appartements, situés dans une aile du palais, en ordonnant qu’on y envoyât le messager.

Elle était depuis quelques moments assise sur un riche sopha, au milieu de ses femmes, quand le messager, entra. La comtesse en l’apercevant fit un mouvement de répugnance qu’elle cacha soudain sous un sourire bienveillant. L’extérieur du messager ne semblait pourtant pas repoussant au premier abord ; c’était un homme plutôt petit que grand, et dont l’embonpoint annonçait tout autre chose qu’un messager. Cependant, quand on l’examinait, son visage paraissait ouvert jusqu’à l’impudence, et la gaieté de son regard avait quelque chose de diabolique et de sinistre. Il s’inclina profondément devant la comtesse, et lui présenta un paquet, scellé avec des fils de soie.

— Noble dame, dit-il, daignez me permettre d’oser déposer à vos pieds un précieux message de sa grâce, votre illustre époux, mon vénéré maître.

— Est-ce qu’il ne vient pas lui-même ? et comment vous prend-il pour messager ? demanda la comtesse.

— Des soins importants diffèrent l’arrivée de sa grâce, cette lettre est