Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/696

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que cela vous fait ? me donner trois numéros, trois bons. Hein ? — Je n’ai pas peur des revenants, soyez tranquille. — Voici mon adresse : Caserne Popincourt, escalier A, no 26, au fond du corridor. Vous me reconnaîtrez bien, n’est-ce pas ? — Venez même ce soir, si cela vous est plus commode.

J’aurais dédaigné de lui répondre, à cet imbécile, si une espérance folle ne m’avait traversé l’esprit. Dans la position désespérée où je suis, on croit par moments qu’on briserait une chaîne avec un cheveu.

— Écoute, lui ai-je dit en faisant le comédien autant que le peut faire celui qui va mourir, je puis en effet te rendre plus riche que le roi, te faire gagner des millions. — À une condition.

Il ouvrait des yeux stupides.

— Laquelle ? laquelle ? tout pour vous plaire, mon criminel.

— Au lieu de trois numéros, je t’en promets quatre. Change d’habits avec moi.

— Si ce n’est que cela ! s’est-il écrié en défaisant les premières agrafes de son uniforme.

Je m’étais levé de ma chaise. J’observais tous ses mouvements, mon cœur palpitait. Je voyais déjà les portes s’ouvrir devant l’uniforme de gendarme, et la place, et la rue, et le Palais de Justice derrière moi !

Mais il s’est retourné d’un air indécis.

— Ah çà ! ce n’est pas pour sortir d’ici ?

J’ai compris que tout était perdu. Cependant j’ai tenté un dernier effort, bien inutile et bien insensé !

— Si fait, lui ai-je dit, mais ta fortune est faite…

Il m’a interrompu.

— Ah bien non ! tiens ! et mes numéros ! pour qu’ils soient bons, il faut que vous soyez mort.

Je me suis rassis, muet et plus désespéré de toute l’espérance que j’avais eue.