Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/718

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un portefeuille, a demandé à un des guichetiers comment s’appelait ce qu’on faisait là.

— La toilette du condamné, a répondu l’autre.

J’ai compris que cela serait demain dans le journal.

Tout à coup l’un des valets m’a enlevé ma veste, et l’autre a pris mes deux mains qui pendaient, les a ramenées derrière mon dos, et j’ai senti les nœuds d’une corde se rouler lentement autour de mes poignets rapprochés. En même temps, l’autre détachait ma cravate. Ma chemise de batiste, seul lambeau qui me restât du moi d’autrefois, l’a fait en quelque sorte hésiter un moment ; puis il s’est mis à en couper le col.

À cette précaution horrible, au saisissement de l’acier qui touchait mon cou, mes coudes ont tressailli, et j’ai laissé échapper un rugissement étouffé. La main de l’exécuteur a tremblé.

— Monsieur, m’a-t-il dit, pardon ! Est-ce que je vous ai fait mal ?

Ces bourreaux sont des hommes très doux.

La foule hurlait plus haut au dehors.

Le gros homme au visage bourgeonné m’a offert à respirer un mouchoir imbibé de vinaigre.

— Merci, lui ai-je dit de la voix la plus forte que j’ai pu, c’est inutile ; je me trouve bien.

Alors l’un d’eux s’est baissé et m’a lié les deux pieds, au moyen d’une corde fine et lâche, qui ne me laissait à faire que de petits pas. Cette corde est venue se rattacher à celle de mes mains.

Puis le gros homme a jeté la veste sur mon dos, et a noué les manches ensemble sous mon menton. Ce qu’il y avait à faire là était fait.

Alors le prêtre s’est approché avec son crucifix.

— Allons, mon fils, m’a-t-il dit.

Les valets m’ont pris sous les aisselles. Je me suis levé, j’ai marché. Mes pas étaient mous et fléchissaient comme si j’avais eu deux genoux à chaque jambe.

En ce moment la porte extérieure s’est ouverte à deux battants. Une clameur furieuse et l’air froid et la lumière blanche ont fait irruption jusqu’à moi dans l’ombre. Du fond du sombre guichet, j’ai vu brusquement tout à la fois, à travers la pluie, les mille têtes hurlantes du peuple entassées pêle-mêle sur la rampe du grand escalier du Palais ; à droite, de plain-pied avec le seuil, un rang de chevaux de gendarmes, dont la porte basse ne me découvrait que les pieds de devant et les poitrails ; en face, un détachement de soldats en bataille ; à gauche, l’arrière d’une charrette, auquel s’appuyait une roide échelle. Tableau hideux, bien encadré dans une porte de prison.