Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/72

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meure judiciairement ; c’est à lui forger un crime que nous travaillons. — Ton mari, Elphège, sous prétexte d’inspecter incognito les provinces du Nord, va s’assurer par lui-même du résultat qu’ont eu nos menées parmi les mineurs, dont nous voulons provoquer, au nom de Schumacker, une insurrection qu’il sera facile ensuite d’étouffer. Ce qui nous inquiète, c’est la perte de plusieurs papiers importants relatifs à ce plan, et que nous avons tout lieu de croire au pouvoir de Dispolsen. Sachant donc qu’il était reparti de Copenhague pour Munckholm, rapportant à Schumacker ses parchemins, ses diplômes, et peut-être ces documents qui peuvent nous perdre ou au moins nous compromettre, nous avons aposté dans les gorges de Kole quelques fidèles, chargés de se défaire de lui, après l’avoir dépouillé de ses papiers. Mais si, comme on l’assure, Dispolsen est venu de Bergen par mer, nos peines seront perdues de ce côté-là. — Pourtant j’ai recueilli en arrivant je ne sais quels bruits d’un assassinat d’un capitaine nommé Dispolsen. — Nous verrons. — Nous sommes en attendant à la recherche d’un brigand fameux, Han, dit d’Islande, que nous voudrions mettre à la tête de la révolte des mines. Et toi, ma chère, quelles nouvelles d’ici me donneras-tu ? Le joli oiseau de Munckholm a-t-il été pris dans sa cage ? La fille du vieux ministre a-t-elle enfin été la proie de notre falcofulvus, de notre fils Frédéric ?

La comtesse, retrouvant sa fierté, se récria encore :

— Notre fils !

— Ma foi, quel âge peut-il avoir ? Vingt-quatre ans. Il y en a vingt-six que nous nous connaissons, Elphège.

— Dieu le sait, s’écria la comtesse, mon Frédéric est l’héritier légitime du grand-chancelier.

— Si Dieu le sait, répondit le messager en riant, le diable peut l’ignorer. Au reste, ton Frédéric n’est qu’un étourneau indigne de moi, et ce n’est pas la peine de nous quereller pour si peu de chose. Il n’est bon qu’à séduire une fille. Y est-il parvenu au moins ?

— Pas encore, que je sache.

— Mais, Elphège, tâche donc de jouer un rôle moins passif dans nos affaires. Celui du comte et le mien sont, tu le vois, assez actifs. Je retourne dès demain vers ton mari. Pour toi, ne te borne pas, de grâce, à prier pour nos péchés, comme la madone que les Italiens invoquent en assassinant. — Il faut aussi qu’Ahlefeld songe à me récompenser un peu plus magnifiquement qu’il ne l’a fait jusqu’ici. Ma fortune est liée à la vôtre ; mais je me lasse d’être le serviteur de l’époux, quand je suis l’amant de la femme, et de n’être que le gouverneur, le précepteur, le pédagogue, quand je suis presque le père.