Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome II.djvu/400

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qu’il le fera mettre en chemise. Sire, vous êtes le soleil. Je vous le proteste, mon souverain maître et seigneur, je ne suis pas un compagnon truand, voleur et désordonné. La révolte et les briganderies ne sont pas de l’équipage d’Apollo. Ce n’est pas moi qui m’irai précipiter dans ces nuées qui éclatent en des bruits de séditions. Je suis un fidèle vassal de votre majesté. La même jalousie qu’a le mari pour l’honneur de sa femme, le ressentiment qu’a le fils pour l’amour de son père, un bon vassal les doit avoir pour la gloire de son roi, il doit sécher pour le zèle de sa maison, pour l’accroissement de son service. Toute autre passion qui le transporterait ne serait que fureur. Voilà, sire, mes maximes d’état. Donc, ne me jugez pas séditieux et pillard à mon habit usé aux coudes. Si vous me faites grâce, sire, je l’userai aux genoux à prier Dieu soir et matin pour vous ! Hélas ! je ne suis pas extrêmement riche, c’est vrai. Je suis même un peu pauvre. Mais non vicieux pour cela. Ce n’est pas ma faute. Chacun sait que les grandes richesses ne se tirent pas des belles-lettres, et que les plus consommés aux bons livres n’ont pas toujours gros feu l’hiver. La seule avocasserie prend tout le grain et ne laisse que la paille aux autres professions scientifiques. Il y a quarante très excellents proverbes sur le manteau troué des philosophes. Oh ! sire ! la clémence est la seule lumière qui puisse éclairer l’intérieur d’une grande âme. La clémence porte le flambeau devant toutes les autres vertus. Sans elle, ce sont des aveugles qui cherchent Dieu à tâtons. La miséricorde, qui est la même chose que la clémence, fait l’amour des sujets qui est le plus puissant corps de garde à la personne du prince. Qu’est-ce que cela vous fait, à vous majesté dont les faces sont éblouies, qu’il y ait un pauvre homme de plus sur la terre ? un pauvre innocent philosophe, barbotant dans les ténèbres de la calamité, avec son gousset vide qui résonne sur son ventre creux ? D’ailleurs, sire, je suis un lettré. Les grands rois se font une perle à leur couronne de protéger les lettres. Hercules ne dédaignait pas le titre de Musagète. Mathias Corvin favorisait Jean de Monroyal, l’ornement des mathématiques. Or, c’est une mauvaise manière de protéger les lettres que de pendre les lettrés. Quelle tache à Alexandre s’il avait fait pendre Aristoteles ! Ce trait ne serait pas un petit moucheron sur le visage de sa réputation pour l’embellir, mais bien un malin ulcère pour le défigurer. Sire ! j’ai fait un très expédient épithalame pour madamoiselle de Flandre et monseigneur le très auguste dauphin. Cela n’est pas d’un boute-feu de rébellion. Votre majesté voit que je ne suis pas un grimaud, que j’ai étudié excellemment, et que j’ai beaucoup d’éloquence naturelle. Faites-moi grâce, sire. Cela faisant, vous ferez une action galante à Notre-Dame, et je vous jure que je suis très effrayé de l’idée d’être pendu !

En parlant ainsi, le désolé Gringoire baisait les pantoufles du roi, et Guillaume Rym disait tout bas à Coppenole : — Il fait bien de se traîner à terre.