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NOTES DE L’ÉDITEUR.

l’horreur des émotions fortes, voulut néanmoins lire Notre-Dame de Paris et fut bouleversé par cette lecture. Voici en quels termes, dans un entretien avec son fidèle Eckermann, le 27 juin 1831, il exhalait son amusante fureur :

… Victor Hugo est un beau talent, mais il est tout à fait engagé dans la malheureuse direction romantique, ce qui le conduit à mettre, à côté de beaux tableaux, les plus intolérables et les plus laids. Ces jours-ci, j’ai lu Notre-Dame de Paris et il ne m’a pas fallu peu de patience pour supporter les tortures que m’a données cette lecture. C’est le livre le plus affreux qui ait jamais été écrit !…

… Et avec tout cela, écrivait-il le lendemain à Zelter, se montrent des preuves décisives d’un talent historique et oratoire auquel on ne peut refuser une vive puissance d’imagination, sans laquelle d’ailleurs il ne pourrait jamais créer de pareilles abominations.

Cet effet profond du livre, qui se manifestait par les colères autant que par les admirations, ne se limita pas à quelques mois et à quelques années ; Notre-Dame de Paris eut cet effet prolongé qui s’appelle l’influence. Comme les Orientales, le grand roman donna en foule, et donne encore, à l’art, à toutes les formes de l’art, peinture, sculpture, musique, des sujets, des motifs, des figures. Mais c’est surtout dans le domaine de l’architecture que se firent sentir son action et son enseignement. L’architecte Lassus, qui fut le restaurateur de la vieille cathédrale, tout en rectifiant certaines erreurs du poète, déclarait qu’il lui devait ses premières lumières. Le moyen âge, jusque-là délaissé et dédaigné, devint du coup à la mode. Les édifices antérieurs à la Renaissance, qu’on laissait en ruines ou qu’on dénaturait quand on ne les détruisait pas, furent désormais admirés, entretenus et réparés. Le respect s’étendit aux restes de tout le passé, et le Comité des Monuments historiques fut institué pour veiller à leur conservation. Notre-Dame de Paris a donné le signal de toute cette révolution dans le goût.

La prospérité matérielle de Notre-Dame ne connut pas non plus d’éclipse. À l’expiration du traité Gosselin, Victor Hugo n’eut pas de peine à trouver un éditeur moins barbare. En 1832, Notre-Dame de Paris fut publiée en trois volumes au prix de 22 fr. 50, augmentée de trois chapitres, dont le fameux chapitre : Ceci tuera cela. À partir de là, les traductions dans toutes les langues, les éditions de tous les prix et dans tous les formats se succédèrent sans fin, perpétuant la juste célébrité de Notre-Dame de Paris, laquelle ne fut et ne pouvait être dépassée que par la prodigieuse et universelle renommée des Misérables.

II

REVUE DE LA CRITIQUE.


Lors de l’apparition de Notre-Dame de Paris, la critique salua l’œuvre de louanges presque unanimes et comprit bien que c’était là un grand événement littéraire.

Deux sentiments ressortent de la lecture des journaux et revues du temps. Il y eut avant tout émerveillement pour le style. C’était le premier livre où Victor Hugo se manifestait grand écrivain en prose avec cette puissance. On sentit comme la prise de possession d’un maître. Les ennemis mêmes ne purent s’empêcher de reconnaître la beauté de cette forme souveraine qui allait renouveler la langue de son siècle, et, par la suite, s’imposer même aux critiques hostiles,