Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome II.djvu/477

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
453
REVUE DE LA CRITIQUE.

supérieur dans tous les sujets ; il s’empare de toutes les sciences ; il emprunte toutes les formes et jamais il n’a l’air gêné, empêché, étonné et mesquin ; la force universelle s’étend aux extrêmes les plus opposés. Il sera dans ses compositions poète, peintre, architecte, mathématicien, philosophe ou dramatiste, sa fantaisie fera loi : tel est Victor Hugo.

L’Avenir.
(11 et 28 avril 1831.)
Ch. de M[ontalembert].

L’Avenir, fondé par Lamennais, alors grand ami de Victor Hugo, est le premier journal qui parle de Notre-Dame, et n’y consacre pas moins de deux articles. Ces articles, pleins d’enthousiasme et pleins de talent, étaient de Montalembert. Ils débutent par un cri de joie :

Une œuvre de Victor Hugo ! Qui ne tressaille à ces mots ? Que ce soit de plaisir ou de dépit, d’admiration ou de colère, n’importe. Il est toujours certain que de lui rien n’est indifférent et qu’il a le privilège, si rare aujourd’hui, de maîtriser l’attention, non par les choses qu’il écrit, mais parce que c’est lui qui les écrit. Pour nous, jeunes gens de ce siècle, dont il est presque le contemporain et le camarade, un lien tout spécial nous attache à cet homme dont les œuvres expriment et résument si complètement tout ce qu’il y a d’élevé et de généreux dans notre époque.

Dans sa vie littéraire, nous le voyons ouvrant à l’art une carrière nouvelle où il se précipite le premier avec l’ardente espérance du génie, traçant le code de cet art rajeuni dans une préface monumentale, lançant le drame par un essai hardi et victorieux dans un monde inconnu et sublime…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Montalembert commence par faire la part des défauts et la fait assez large. Se plaçant au point de vue de Lamennais, qui ne trouvait pas Notre-Dame assez catholique, il reproche à Victor Hugo d’avoir fait la cathédrale plus humaine que divine. Il juge aussi ses douleurs trop matérielles, sa gaieté trop superficielle. Il repousse cependant, avec les vues les plus hautes et les plus délicates, le reproche d’immoralité adressé parfois à Notre-Dame.

Puis il vient aux qualités :

En première ligne se place ce style merveilleux, créé par M. Victor Hugo et que nul n’a pu imiter ni atteindre après lui ; ce style de feu dont l’ardeur est irrésistible et qui déborde avec un luxe effréné ; ce style, qui fait comprendre et sentir l’intime liaison qui existe entre tous les arts, l’identité du beau dans toutes ses manifestations ; car, grâce à lui, la transition du poète au peintre devient presque imperceptible. On lit des mots, des lignes, et l’on se croit en face d’un tableau ; chaque description écrite se transforme à notre insu en peinture vivante ; et le poète déroule à nos yeux le délire de son imagination tracé en couleurs brûlantes et ineffaçables. Ce genre de beautés, que nous nommerions volontiers le pittoresque de la poésie, se déploie admirablement dans la scène de l’amende honorable de la pauvre Esmeralda, dans celle de l’assaut de Notre-Dame par les truands, et surtout dans ce panorama de Paris vu à vol d’oiseau, qui rappelle, en la surpassant, la charmante description de Stamboul dans les Orientales, et qui se termine par un exploit littéraire presque inouï, par cette analyse du concert sublime des carillons de Paris, qui a toute l’expression, toute l’harmonie du concert lui-même.

Si des choses nous passons aux hommes, de la nature et de l’art extérieur aux secrets du cœur, nous retrouvons ce style inimitable se jouant de toutes les difficultés et maîtrisant sans clémence toutes les émotions de l’âme, dans deux chapitres qui resteront comme monuments de la littérature moderne. Ce sont ceux intitulés : Lasciate ogni speranza et Fièvre. Ce lent supplice, infligé au frêle corps de la jeune fille, cet aveu du prêtre assassin et sacrilège, cette fièvre de désespoir et de remords qui le pousse d’abîme en abîme jusqu’à l’athéisme, tout cela nous offre un tableau de la misère humaine dont nous n’avons trouvé nulle part le rival.

Journal des Débats.
(15 juin-11 juillet 1831.)

Le Journal des Débats dut attendre aux mois de juin et juillet pour pouvoir