Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome III.djvu/257

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
241
UNE TEMPÊTE SOUS UN CRANE.

hagard. Cependant ce qui parlait en lui n’avait pas fini. La voix continuait :

— Jean Valjean ! il y aura autour de toi beaucoup de voix qui feront un grand bruit, qui parleront bien haut, et qui te béniront, et une seule que personne n’entendra et qui te maudira dans les ténèbres. Eh bien ! écoute, infâme ! toutes ces bénédictions retomberont avant d’arriver au ciel, et il n’y aura que la malédiction qui montera jusqu’à Dieu !

Cette voix, d’abord toute faible et qui s’était élevée du plus obscur de sa conscience, était devenue par degrés éclatante et formidable, et il l’entendait maintenant à son oreille. Il lui semblait qu’elle était sortie de lui-même et qu’elle parlait à présent en dehors de lui. Il crut entendre les dernières paroles si distinctement qu’il regarda dans la chambre avec une sorte de terreur.

— Y a-t-il quelqu’un ici ? demanda-t-il à haute voix, et tout égaré.

Puis il reprit avec un rire qui ressemblait au rire d’un idiot :

— Que je suis bête ! il ne peut y avoir personne.

Il y avait quelqu’un ; mais celui qui y était n’était pas de ceux que l’œil humain peut voir.

Il posa les flambeaux sur la cheminée.

Alors il reprit cette marche monotone et lugubre qui troublait dans ses rêves et réveillait en sursaut l’homme endormi au-dessous de lui.

Cette marche le soulageait et l’enivrait en même temps. Il semble que parfois dans les occasions suprêmes on se remue pour demander conseil à tout ce qu’on peut rencontrer en se déplaçant. Au bout de quelques instants il ne savait plus où il en était.

Il reculait maintenant avec une égale épouvante devant les deux résolutions qu’il avait prises tour à tour. Les deux idées qui le conseillaient lui paraissaient aussi funestes l’une que l’autre. — Quelle fatalité ! quelle rencontre que ce Champmathieu pris pour lui ! Être précipité justement par le moyen que la providence paraissait d’abord avoir employé pour l’affermir !

Il y eut un moment où il considéra l’avenir. Se dénoncer, grand Dieu ! se livrer ! Il envisagea avec un immense désespoir tout ce qu’il faudrait quitter, tout ce qu’il faudrait reprendre. Il faudrait donc dire adieu à cette existence si bonne, si pure, si radieuse, à ce respect de tous, à l’honneur, à la liberté ! Il n’irait plus se promener dans les champs, il n’entendrait plus chanter les oiseaux au mois de mai, il ne ferait plus l’aumône aux petits enfants ! Il ne sentirait plus la douceur des regards de reconnaissance et d’amour fixés sur lui ! Il quitterait cette maison qu’il avait bâtie, cette chambre, cette petite chambre ! Tout lui paraissait charmant à cette heure. Il ne lirait plus dans