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NOTE DE L’ÉDITEUR.

Or les jours s’écoulent et la préface n’arrive pas. Il est clair que Victor Hugo n’a pas pris encore de parti définitif. Nous sommes au 3 février, Lacroix s’inquiète, il interroge : « la préface sera-t-elle étendue ? » À cette question il n’obtient pas de réponse. Il laisse passer douze jours. Il devient un peu nerveux, et dans une nouvelle lettre, le 16 février, il dit : « La préface (et il souligne le mot) devient nécessaire, le temps est là ; car il vous en faudra envoyer une épreuve et ce serait un retard pour l’apparition de l’ouvrage si nous ne l’avons pas au plus tôt pour la composition. » Chaque mot est un appel pressant.

Comment Victor Hugo, toujours si soucieux de presser ses éditeurs, n’aurait-il pas été sensible à cette phrase : « retard pour l’apparition de l’ouvrage » ? Comment n’aurait-il pas été convaincu que seule l’absence de la préface provoquait un ajournement ? Au bout de huit jours, Lacroix revient à la charge et, toujours plein de respect et de ménagements, il dit le 25 février : « Je crains de voir la mise en vente retardée par la préface. » Au fond il ne craint pas, il est assuré que la mise en vente devra être reculée. Victor Hugo ne peut guère en douter ; persuadé qu’il ne doit plus songer à mettre au point cette longue préface, absorbé par la révision de son roman et par la correction des épreuves, il se décide à envoyer douze lignes réclamées depuis plus de trois semaines.

On sait le prodigieux succès qu’obtinrent les Misérables, mais les polémiques plus ou moins acerbes dont ils furent l’objet avertirent Victor Hugo qu’il avait trop compté sur la clairvoyance et la bonne foi de certains critiques qui blâmèrent le caractère irréligieux de son œuvre et en dénaturèrent la portée morale et sociale. La réponse à ces accusations, à ces calomnies était toute prête, écrite ; il était trop tard pour la publier ; pourtant il éprouva le désir de confier à des amis ce qu’il avait eu l’intention de dire à ses lecteurs ; c’était la préface après la lettre.

Nous avons retrouvé la note suivante :

À propos des Misérables, j’ai écrit (21 juin 1862) à M. Frédéric Morin :

— Ce livre a été composé du dedans au dehors. L’idée engendrant les personnages, les personnages produisant le drame, c’est là, en effet, la loi de l’art, et en mettant comme générateur, à la place de l’idée, l’idéal, c’est-à-dire Dieu, on reconnaît que c’est la formation même de la nature.

La destinée et en particulier la vie, le temps et en particulier ce siècle, l’homme et en particulier le peuple, Dieu et en particulier le monde, voilà ce que j’ai tâché de mettre dans ce livre, espèce d’essai sur l’infini.

Toute étude sérieuse sur l’infini conclut au progrès. La perfection contemplée démontre la perfectibilité. De là le dégagement vrai des lois politiques et sociales, corollaires des lois naturelles ; pas d’autorité en dehors de l’auteur ; le divin exclut le royal. — La république sort de la religion.

Victor Hugo, comme on vient de lire, caractérise les Misérables : une espèce d’essai sur l’infini.

Paul Meurice traduisait fidèlement cette intention lorsqu’il introduisait dans