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LE MANUSCRIT DES MISÉRABLES.

Voici, en marge, un développement de ce premier passage :


(— Monsieur le maire, dit Javert, je viens vous prier de vouloir bien m’écoutcr un moment.

Ces paroles furent prononcées avec un son de voix si inattendu et si étrange qu’elles firent retourner M. Madeleine. Il y avait dans ce son de voix toute une révolution. Il regarda Javert. Cette révolution n’était pas moins visible dans son attitude. Javert, nous l’avons dit, était un homme sincère. Il n’avait aucune chose dans l’âme qu’il ne l’eût aussi sur le visage. Après la scène du bureau de police, M. Madeleine s’attendait à je ne sais quel abord où une sourde rancune mêlée à l’ancienne haine percerait à travers la déférence officielle. À sa grande surprise, il ne trouva rien de pareil dans Javert. Ce n’était même plus ce respect pénible et contraint auquel l’inspecteur de police l’avait accoutumé. L’accent de Javert et toute sa personne exprimaient en ce moment devant M. Madeleine une sorte de vénération franche et presque affectueuse à laquelle semblait s’ajouter une nuance de regret et de douleur.)


— Asseyez-vous, Javert, dit M. Madeleine avec douceur. Qu’y a-t-il ?

Javert resta debout. Il recommença sa phrase sans y changer une syllabe :

— Monsieur le maire, je viens vous prier de vouloir bien m’écouter un moment.

Ce n’était plus ce son de voix revêche et hautain qui était habituel à Javert, et qui sonnait toujours durement, même à l’oreille de ses supérieurs. C’était un accent honnête et humble.

— Parlez, Javert, mais asseyez-vous donc.

Javert resta debout.

Il demeura un instant silencieux comme s’il se recueillait, puis éleva la voix avec une sorte de solennité triste où une certaine emphase n’excluait pas pourtant une certaine simplicité.

— Monsieur le maire, lorsqu’un agent de l’autorité, investi de la confiance de l’état, chargé de faire respecter les positions acquises dans la société et de les respecter tout le premier, a manqué gravement à ce grand devoir, le respect, lorsqu’il a poursuivi pendant des années d’une espèce de haine d’idiot et d’un tas de soupçons injurieux une personne considérable et officielle, lorsqu’il n’a pas tenu à cet agent de nuire à cette personne, ne fût-ce que par des propos audacieux et injustes, lorsque cet agent a osé dans de certains cas exercer sur cette personne une sorte de surveillance indirecte, illégale et Insolente, il importe qu’à côté d’un pareil oubli de tous les devoirs la sévérité de l’état se montre, il importe qu’un exemple soit fait, et qu’avant même que l’honorable personne se plaigne, l’agent soit destitué. Ne le pensez-vous pas ?

— Qu]est-ce que vous me dites-là ? demanda M. le maire. Encore des sévérités ! tous ces faits que vous dites sont-ils réels ? Êtes-vous certain qu’ils se soient passés comme vous les racontez ? Vous me dénoncez un agent qui se serait mal conduit ? Et d’abord quel est cet agent ?

— Moi, dit Javert.