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LE MANUSCRIT DES MISÉRABLES.

quences, à présent qu’il m’est prouvé que j’ai eu tort, et qu’en dépit de mes conjectures stupides et infâmes, notre vénérable maire M. Madeleine ne peut pas être et n’est pas, pardonnez-moi de répéter cet affreux nom, le galérien Jean Tréjean.

M. Madeleine, haletant, attendait qu’il continuât. Javert s’arrêta encore. Puis s’inclinant vers le maire, les yeux humides, les bras pendants, et comme s’il était prêt à se mettre à genoux, il ajouta :

— Monsieur le maire, remettez-moi en paix avec ma conscience. Je deviendrai après ce que je pourrai. J’ai deux bras. Je travaillerai à la terre. Cela m’est égal. Je vous demande à mains jointes deux choses : punissez-moi, et pardonnez-moi. Faites-moi destituer, et daignez me dire que vous ne m’en voulez pas.

En ce moment-là, Javert était presque éloquent.

Il se tut. M. Madeleine ne rompait pas le silence. Javert le regardait d’un œil qui suppliait autant que l’œil de Javert pouvait supplier. Situation étrange. Ces deux hommes se tournaient l’un vers l’autre avec anxiété, et ils semblaient chacun de leur côté attendre l’un de l’autre une parole qui ne venait point.

Javert enfin se risqua :

— Vous ne me répondez pas, monsieur le maire. Je vois ce que c’est, vous êtes indigné, et comme vous êtes bon…

— J’attends, dit M. Madeleine, que vous ayez fini.

— Mais j’ai fini.

Un tison qui roula de la cheminée parut occuper beaucoup en ce moment M. Madeleine. Il prit la pincette et le remit en place longuement, puis il releva la tête et regarda Javert. Il ouvrit la bouche comme s’il allait parler, mais il ne parla pas. Son visage était redevenu calme. Il reprit la feuille qu’il avait posée sur la table, la parcourut comme si elle le préoccupait fort, et murmura entre ses dents : « Il faudra pourtant que j’écrive au procureur du roi pour cette affaire Bazurier ». Tout en parlant, il prit une plume et écrivit une ligne ou deux sur la feuille. Enfin se retournant vers Javert, toujours immobile, il lui dit avec un air de parfaite indifférence :

— Mais, Javert, dans l’histoire que vous m’avez faite, vous avez oublié de me dire comment vous étiez parvenu à éclaircir ce qui vous avait paru un mystère et à savoir la vérité.

— Ah ! c’est vrai ! pardon, monsieur le maire ! s’écria Javert. Mais, mon Dieu ! rien n’est plus simple. C’est que le véritable Jean Tréjean est trouvé.

— Ah ! dit Madeleine.

Un volume de commentaires ne suffirait pas à indiquer tout ce qu’il y avait dans cet Ah ! Il échappa à Javert comme le reste. M. Madeleine se remit à remuer le feu.

Javert poursuivit (voir p. 215).

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[Monsieur le Maire, la vérité est la vérité. J’en suis fâché, mais c’est cet homme-là qui est Jean Valjean. Moi aussi je l’ai reconnu][1].

  1. Ces deux lignes, reproduites ici pour la clarté de l’enchaînement, ont été publiées (voir p. 217). L’original du fragment qui suit est au feuillet 311, chiffré M2.