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RELIQUAT DES MISÉRABLES.

Corriger notre côté, cela suffit. Le côté du mystère est au mystère. L’œuvre de l’homme est mal faite ; refaisons-la. Essuyons les pleurs que nous faisons couler, lions l’artère que nous avons coupée, arrêtons l’effusion de vie qui s’en va par les blessures que nous faisons à la justice et à la vérité, remettons l’équilibre partout où l’inégalité est de notre fait, au-dessus du phénomène social, sans la moindre atteinte à la propriété, cette deuxième forme de la liberté, sans diminution du droit de posséder, caractéristique de l’homme sur la terre, frontière mystérieuse des animaux, créons, par le travail de la philosophie sur les mœurs, une haute probité du riche établissant la balance entre le fait de la conscience et le fait de la société, et reconnaissant qu’il redoit quelque chose au pauvre ; respectons la pauvreté, abolissons l’indigence ; les deux indigences, celle qui ne mange pas et celle qui ne pense pas, celle qu’on appelle misère et celle qu’on appelle ignorance. Faisons un genre humain honnête homme. Ce pas accompli, le dix-neuvième siècle pourra se reposer.

La misère est une sorte de maladie de peau de la civilisation. La véritable économie politique, saturée de philosophie et de réalité, agit comme un dépuratif. Guérissons le dedans ; nous assainirons le dehors. La lèpre a disparu, la misère doit disparaître.

Détruisons la misère.


Quant à la Douleur, adorons-la, elle est notre mère.

Guerre au mal humain, respect au mal divin. La douleur nous a faits et elle nous défera. Elle tient le fil qui pend sous les berceaux dans l’inconnu, et nul ne sait dans quelle mesure elle est mêlée au refroidissement des pieds des squelettes sous le plafond du sépulcre. Quand nous faisons effort sur l’extérieur de la fatalité, on sent comme une sorte d’ironie dans les ténèbres. Ce qui flotte au delà de l’homme rit de nos dix doigts ouverts prenant des poignées d’ombre. Entreprendre la suppression de la douleur, autant souffler sur la gravitation. L’astrologie l’essayait et s’est harassée dans le néant. L’homme peut ôter de l’homme ce qu’il a mis sur l’homme ; rien de plus. Cette surcharge de détresse, pourquoi en accablez-vous Adam ? Enlevez l’indigence de dessus le dos du genre humain, puisque c’est vous qui l’y avez placée. Bornez-vous là. La misère ôtée, la haine s’évanouira, la guerre mourra, la fraternité naîtra, l’harmonie, aube auguste, enflammera l’horizon. Mais la paix, la fraternité, l’harmonie, est-ce le bonheur ? dans le sens humain, oui ; dans le sens divin, non. Dans l’absolu, bonheur et perfection sont synonymes. Ni lui ni elle ne sont terrestres. Quand vous serez parfaits, vous serez heureux ; ceci est l’asymptote de votre hyperbole. Marchez. En avant. Vous trouverez cette réalisation au fond de l’infini, au point d’intersection du miasme de vos viscères avec le rayon des étoiles.

L’absolu est-il un rêve ? non. Le bonheur existe-t-il ? sans doute, est-ce que l’or n’existe pas ? l’homme ne peut pas plus faire du bonheur qu’il ne peut faire de l’or. Voilà tout. Il trouve le bonheur, il ne le fabrique pas. Toutes vos lois et toutes vos mœurs combinées, toute la science compliquée de tout le progrès, ne peuvent rien pour ni contre le baiser qui m’a ouvert le paradis. Aucune institution sociale, aucun