Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome IX.djvu/141

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l’autre, pas plus contre que pour. Robespierre, est-ce que Saint-Just n’est pas un noble ? Florelle de Saint-Just, parbleu ! Anacharsis Cloots est baron. Notre ami Charles Hesse, qui ne manque pas une séance des Cordeliers, est prince, et frère du landgrave régnant de Hesse-Rothenbourg. Montaut, l’intime de Marat, est marquis de Montaut. Il y a dans le tribunal révolutionnaire un juré qui est prêtre, Vilate, et un juré qui est noble, Leroy, marquis de Montflabert. Tous deux sont sûrs.

— Et vous oubliez, ajouta Robespierre, le chef du jury révolutionnaire…

— Antonelle ?

— Qui est le marquis Antonelle, dit Robespierre.

Danton reprit :

— C’est un noble, Dampierre, qui vient de se faire tuer devant Condé pour la république, et c’est un noble, Beaurepaire, qui s’est brûlé la cervelle plutôt que d’ouvrir les portes de Verdun aux prussiens.

— Ce qui n’empêche pas, grommela Marat, que le jour où Condorcet a dit : Les Gracques étaient des nobles, Danton n’ait crié à Condorcet : Tous les nobles sont des traîtres, à commencer par Mirabeau et à finir par toi.

La voix grave de Cimourdain s’éleva.

— Citoyen Danton, citoyen Robespierre, vous avez raison peut-être de vous confier, mais le peuple se défie, et il n’a pas tort de se défier. Quand c’est un prêtre qui est chargé de surveiller un noble, la responsabilité est double, et il faut que le prêtre soit inflexible.

— Certes, dit Robespierre.

Cimourdain ajouta :

— Et inexorable.

Robespierre reprit :

— C’est bien dit, citoyen Cimourdain. Vous aurez affaire à un jeune homme. Vous aurez de l’ascendant sur lui, ayant le double de son âge. Il faut le diriger, mais le ménager. Il paraît qu’il a des talents militaires, tous les rapports sont unanimes là-dessus. Il fait partie d’un corps qu’on a détaché de l’armée du Rhin pour aller en Vendée. Il arrive de la frontière, où il a été admirable d’intelligence et de bravoure. Il mène supérieurement la colonne expéditionnaire. Depuis quinze jours, il tient en échec ce vieux marquis de Lantenac. Il le réprime et le chasse devant lui. Il finira par l’acculer à la mer et par l’y culbuter. Lantenac a la ruse d’un vieux général et lui a l’audace d’un jeune capitaine. Ce jeune homme a déjà des ennemis et des envieux. L’adjudant général Léchelle est jaloux de lui…

— Ce Léchelle, interrompit Danton, il veut être général en chef ! il n’a pour lui qu’un calembour : Il faut Léchelle pour monter sur Charette. En attendant, Charette le bat.