Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome IX.djvu/152

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combattait la permanence des sections ; La Source, qui avait émis cet apophtegme meurtrier : Malheur aux nations reconnaissantes ! et qui, au pied de l’échafaud, devait se contredire par cette fière parole jetée aux montagnards : Nous mourons parce que le peuple dort, et vous mourrez parce que le peuple se réveillera ; Biroteau, qui fit décréter l’abolition de l’inviolabilité, fut ainsi, sans le savoir, le forgeron du couperet, et dressa l’échafaud pour lui-même ; Charles Villette, qui abrita sa conscience sous cette protestation : Je ne veux pas voter sous les couteaux ; Louvet, l’auteur de Faublas, qui devait finir libraire au Palais-Royal avec Lodoïska au comptoir ; Mercier, l’auteur du Tableau de Paris, qui s’écriait : Tous les rois ont senti sur leurs nuques le 21 janvier ; Marec, qui avait pour souci « la faction des anciennes limites » ; le journaliste Carra qui, au pied de l’échafaud, dit au bourreau : Ça m’ennuie de mourir. J’aurais voulu voir la suite ; Vigée, qui s’intitulait grenadier dans le deuxième bataillon de Mayenne-et-Loire, et qui, menacé par les tribunes publiques, s’écriait : Je demande qu’au premier murmure des tribunes, nous nous retirions tous, et marchions à Versailles, le sabre à la main ! Buzot, réservé à la mort de faim ; Valazé, promis à son propre poignard ; Condorcet, qui devait mourir à Bourg-la-Reine devenu Bourg-Égalité, dénoncé par l’Horace qu’il avait dans sa poche ; Pétion, dont la destinée était d’être adoré par la foule en 1792 et dévoré par les loups en 1794 ; vingt autres encore, Pontécoulant, Marboz, Lidon, Saint-Martin, Dussaulx, traducteur de Juvénal, qui avait fait la campagne de Hanovre ; Boilleau, Bertrand, Lesterp-Beauvais, Lesage, Gomaire, Gardien, Minvielle, Duplantier, Lacaze, Antiboul, et en tête un Barnave qu’on appelait Vergniaud.

De l’autre côté, Antoine-Louis-Léon Florelle de Saint-Just, pâle, front bas, profil correct, œil mystérieux, tristesse profonde, vingt-trois ans ; Merlin de Thionville, que les allemands appelaient Feuer-Teufel, « le diable de feu » ; Merlin de Douai, le coupable auteur de la loi des suspects ; Soubrany, que le peuple de Paris, au premier prairial, demanda pour général ; l’ancien curé Lebon, tenant un sabre de la main qui avait jeté de l’eau bénite ; Billaud-Varennes, qui entrevoyait la magistrature de l’avenir : pas de juges, des arbitres ; Fabre d’Églantine, qui eut une trouvaille charmante, le calendrier républicain, comme Rouget de Lisle eut une inspiration sublime, la Marseillaise, mais l’un et l’autre sans récidive ; Manuel, le procureur de la Commune, qui avait dit : Un roi mort n’est pas un homme de moins ; Goujon, qui était entré dans Tripstadt, dans Newstadt et dans Spire, et avait vu fuir l’armée prussienne ; Lacroix, avocat changé en général, fait chevalier de Saint-Louis six jours avant le 10 août ; Fréron-Thersite, fils de Fréron-Zoïle ; Ruhl, l’inexorable fouilleur de l’armoire de fer, prédestiné au grand suicide républicain, devant se tuer le jour où mourrait la république ;