Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome IX.djvu/293

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leurs n’avait pas entamé l’os, fit un soubresaut en avant, lâcha les barreaux et bondit dans l’embrasure.

Là il se trouva face à face avec Chante-en-hiver, qui avait jeté le sabre derrière lui et qui tenait les deux pistolets dans ses deux poings.

Chante-en-hiver, dressé sur ses genoux, ajusta Radoub presque à bout portant, mais son bras affaibli tremblait, et il ne tira pas tout de suite.

Radoub profita de ce répit pour éclater de rire.

— Dis donc, cria-t-il, Vilain-à-voir ! est-ce que tu crois me faire peur avec ta gueule en bœuf à la mode ? Sapristi, comme on t’a délabré le minois !

Chante-en-hiver le visait.

Radoub continua :

— Ce n’est pas pour dire, mais tu as eu la gargoine joliment chiffonnée par la mitraille. Mon pauvre garçon, Bellone t’a fracassé la physionomie. Allons, allons, crache ton petit coup de pistolet, mon bonhomme.

Le coup partit et passa si près de la tête qu’il arracha à Radoub la moitié de l’oreille. Chante-en-hiver éleva l’autre bras armé du second pistolet, mais Radoub ne lui laissa pas le temps de viser.

— J’ai assez d’une oreille de moins, cria-t-il. Tu m’as blessé deux fois. À moi la belle !

Et il se rua sur Chante-en-hiver, lui rejeta le bras en l’air, fit partir le coup qui alla n’importe où, et lui saisit et lui mania sa mâchoire disloquée.

Chante-en-hiver poussa un rugissement et s’évanouit.

Radoub l’enjamba et le laissa dans l’embrasure.

— Maintenant que je t’ai fait savoir mon ultimatum, dit-il, ne bouge plus. Reste là, méchant traîne-à-terre. Tu penses bien que je ne vais pas à présent m’amuser à te massacrer. Rampe à ton aise sur le sol, concitoyen de mes savates. Meurs, c’est toujours ça de fait. C’est tout à l’heure que tu vas savoir que ton curé ne te disait que des bêtises. Va-t’en dans le grand mystère, paysan.

Et il sauta dans la salle du premier étage.

— On n’y voit goutte, grommela-t-il.

Chante-en-hiver s’agitait convulsivement et hurlait à travers l’agonie. Radoub se retourna.

— Silence ! fais-moi le plaisir de te taire, citoyen sans le savoir. Je ne me mêle plus de ton affaire. Je méprise de t’achever. Fiche-moi la paix.

Et, inquiet, il fourra son poing dans ses cheveux, tout en considérant Chante-en-hiver.

— Ah çà, qu’est-ce que je vais faire ? c’est bon tout ça, mais me voilà désarmé. J’avais deux coups à tirer. Tu me les as gaspillés, animal ! Et avec ça une fumée qui vous fait aux yeux un mal de chien !