Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome IX.djvu/327

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orphelins, seuls, bégayants, souriants, ayant contre eux la guerre civile, le talion, l’affreuse logique des représailles, le meurtre, le carnage, le fratricide, la rage, la rancune, toutes les gorgones, triompher ; on avait vu l’avortement et la défaite d’un infâme incendie, chargé de commettre un crime ; on avait vu les préméditations atroces déconcertées et déjouées ; on avait vu l’antique férocité féodale, le vieux dédain inexorable, la prétendue expérience des nécessités de la guerre, la raison d’état, tous les arrogants partis-pris de la vieillesse farouche, s’évanouir devant le bleu regard de ceux qui n’ont pas vécu ; et c’est tout simple, car celui qui n’a pas vécu encore n’a pas fait le mal, il est la justice, il est la vérité, il est la blancheur, et les immenses anges du ciel sont dans les petits enfants.

Spectacle utile ; conseil ; leçon. Les combattants frénétiques de la guerre sans merci avaient soudainement vu, en face de tous les forfaits, de tous les attentats, de tous les fanatismes, de l’assassinat, de la vengeance attisant les bûchers, de la mort arrivant une torche à la main, au-dessus de l’énorme légion des crimes, se dresser cette toute-puissance, l’innocence.

Et l’innocence avait vaincu.

Et l’on pouvait dire : Non, la guerre civile n’existe pas, la barbarie n’existe pas, la haine n’existe pas, le crime n’existe pas, les ténèbres n’existent pas ; pour dissiper ces spectres, il suffit de cette aurore, l’enfance.

Jamais, dans aucun combat, Satan n’avait été plus visible, ni Dieu.

Ce combat avait eu pour arène une conscience.

La conscience de Lantenac.

Maintenant il recommençait, plus acharné et plus décisif encore peut-être, dans une autre conscience.

La conscience de Gauvain.

Quel champ de bataille que l’homme !

Nous sommes livrés à ces dieux, à ces monstres, à ces géants, nos pensées.

Souvent ces belligérants terribles foulent aux pieds notre âme.

Gauvain méditait.

Le marquis de Lantenac, cerné, bloqué, condamné, mis hors la loi, serré, comme la bête dans le cirque, comme le clou dans la tenaille, enfermé dans son gîte devenu sa prison, étreint de toutes parts par une muraille de fer et de feu, était parvenu à se dérober. Il avait fait ce miracle d’échapper. Il avait réussi ce chef-d’œuvre, le plus difficile de tous dans une telle guerre, la fuite. Il avait repris possession de la forêt pour s’y retrancher, du pays pour y combattre, de l’ombre pour y disparaître. Il était redevenu le redoutable allant et venant, l’errant sinistre, le capitaine des invisibles, le chef des hommes souterrains, le maître des bois. Gauvain avait la victoire, mais Lantenac avait