Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome IX.djvu/357

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lez la caserne obligatoire, moi, je veux l’école. Vous rêvez l’homme soldat, je rêve l’homme citoyen. Vous le voulez terrible, je le veux pensif. Vous fondez une république de glaives, je fonde…

Il s’interrompit.

— Je fonderais une république d’esprits.

Cimourdain regarda le pavé du cachot et dit :

— Et en attendant que veux-tu ?

— Ce qui est.

— Tu absous donc le moment présent ?

— Oui.

— Pourquoi ?

— Parce que c’est une tempête. Une tempête sait toujours ce qu’elle fait. Pour un chêne foudroyé que de forêts assainies ! La civilisation avait une peste, ce grand vent l’en délivre. Il ne choisit pas assez peut-être. Peut-il faire autrement ? Il est chargé d’un si rude balayage ! Devant l’horreur du miasme, je comprends la fureur du souffle.

Gauvain continua :

— D’ailleurs, que m’importe la tempête, si j’ai la boussole, et que me font les événements, si j’ai ma conscience !

Et il ajouta de cette voix basse qui est aussi la voix solennelle :

— Il y a quelqu’un qu’il faut toujours laisser faire.

— Qui ? demanda Cimourdain.

Gauvain leva le doigt au-dessus de sa tête. Cimourdain suivit du regard la direction de ce doigt levé, et, à travers la voûte du cachot, il lui sembla voir le ciel étoilé.

Ils se turent encore.

Cimourdain reprit :

— Société plus grande que nature. Je te le dis, ce n’est plus le possible, c’est le rêve.

— C’est le but. Autrement, à quoi bon la société ? Restez dans la nature. Soyez les sauvages. Otaïti est un paradis. Seulement, dans ce paradis on ne pense pas. Mieux vaudrait encore un enfer intelligent qu’un paradis bête. Mais non, point d’enfer. Soyons la société humaine. Plus grande que nature. Oui. Si vous n’ajoutez rien à la nature, pourquoi sortir de la nature ? Alors, contentez-vous du travail comme la fourmi, et du miel comme l’abeille. Restez la bête ouvrière au lieu d’être l’intelligence reine. Si vous ajoutez quelque chose à la nature, vous serez nécessairement plus grand qu’elle ; ajouter, c’est augmenter ; augmenter, c’est grandir. La société, c’est la nature sublimée. Je veux tout ce qui manque aux ruches, tout ce qui manque aux fourmilières, les monuments, les arts, la poésie, les héros, les génies. Porter des fardeaux