Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome IX.djvu/447

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par tradition de famille, et du nom de Hoël le Grand, troisième roi de Bretagne, ancêtre de la maison Gauvain ; le veuf, sans enfants, qui refusait de se remarier et qui représentait la seconde branche, s’appelait le duc de Réthel ; l’orphelin, qui représentait la branche cadette et dernière, avait sept ans et se nommait le vicomte Gauvain.

La vieille fille et l’orphelin habitaient Gauvain, le château de famille ; le duc vivait à la cour.

La branche aînée des Gauvain étant desséchée et comme morte dans la personne de cette vieille vierge, le duc était le chef actuel, « le chef régnant » comme on disait alors, de la famille. Mais de famille, point. De quoi était-il le chef ? d’un enfant.


Le duc et la vicomtesse étaient à peu près du même âge. Tous deux touchaient à 50 ans. Seulement le duc en paraissait 35 et la vicomtesse 70.


Voici le duc, quittant la cour et rentrant dans son château ; nous pouvons entrevoir dès maintenant quelques détails importants du roman :

Accueil de la vicomtesse au duc (spectre). — Profonde révérence majestueuse : — Monsieur, vous êtes ici dans votre maison, vous êtes chef de ma famille. Tout ce que nous avons et qui nous vient des rois de Bretagne, nos aïeux, la tour qui est dans nos forêts, le sang qui est dans nos veines, est à vous. Tenez-moi pour votre servante, monsieur. Entrez chez vous. Je vous rends foi et hommage comme à mon seigneur et à mon suzerain.

Et elle mit un genou en terre.

— Tout cela est vieux, belle dame, dit le duc en éclatant de rire.

Et il baisa la main de la vicomtesse, ce qui la scandalisa.

Le soir.

Admirable paysage. Clair de lune. Forêt splendide. Douce brise. Zéphir de printemps. Le duc regarde. On voit quelques formes noires se balancer sous les branches.

— Ce sont des faux-saulniersbraconniers – paysans que j’ai fait pendre, dit la vicomtesse.

— Mais vous n’en avez plus le droit, dit le duc. Tout cela est vieux. Vieux, vieux, vieux. Heureusement vous pendez ces gens ici, dans ce trou, on ne le sait pas, ça passe comme ça. Si on le savait, vous pourriez avoir maille à partir avec le parlement de Bretagne.

La vicomtesse eut un sourire de spectre.

— Ces robins ! allons donc !

Elle reprit : — Qu’est-ce que cela signifie ?

— Je vais vous expliquer, dit le duc. C’est changé. Vous ne pendez plus. C’est le roi qui pend. Mais comme le roi ne peut pas pendre lui-même tout le monde,