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HISTORIQUE DES MISÉRABLES.

Auguste a donné sa journée d’hier aux Misérables ; il a commencé par corriger sept feuilles du livre. Pagnerre, redevenu flamand, est venu lui dire qu’il était impossible que les nouveaux volumes parussent avant le 24 mai. Auguste a bondi, il n’y avait pas d’impossible pour lui devant la nécessité, on paraîtrait, comme c’était convenu, le 14. Il s’est habillé, a couru chez Claye auquel il a parlé, a mis le branle-bas dans l’imprimerie, il est reconvenu qu’on paraîtra le 14.


À l’heure même où Mme  Victor Hugo s’inquiétait de l’effet produit dans le monde officiel par l’article de Cuvillier-Fleury, Victor Hugo, simplement, loyalement, avertissait son confrère des « inconvénients » que cette « discussion », plus politique que littéraire, présentait :

Hauteville-House, 9 mai 1862.
Monsieur et ancien ami.

Permettez-moi de ne pas vous appeler autrement, quelle que soit la différence de nos points de vue. Je viens de lire votre article si remarquable du 29 avril. Remarquable, j’explique sur-le-champ ma pensée, par le talent et l’élévation loyale de la critique littéraire ; je vous en remercie, et permettez que je mêle une observation à mon remerciement. Cet article serait excellent de tout point sous un régime de liberté ; c’est de la discussion politique, sociale et philosophique, discussion controversable sans aucun doute, mais parfaitement légitime, par exemple, sous le libéral règne de Louis-Philippe. Peut-être cette discussion à laquelle aucune réplique libre n’est possible, a-t-elle sous le régime actuel des inconvénients que vous seriez le premier à regretter et à déplorer, la clôture du débat pouvant être brutalement faite par la censure et la police, et les écrivains tels que vous n’ayant nul besoin de ces auxiliaires-là. Je connais la délicate noblesse de votre esprit, je ne regrette aucun des serrements de mains que nous avons échangés, et ici c’est à mon confrère que je parle en toute cordialité et avec ma plus profonde sympathie.

Vous avez une de ces plumes qui guérissent aisément les blessures qu’elles font. Peut-être dans la suite de votre appréciation, jugerez-vous juste de couvrir un peu, ne fût-ce qu’au point de vue littéraire, ce livre qui est de bonne foi ; et vous vous honorerez en prouvant au pouvoir peu moral et peu scrupuleux de ce régime, que les écrivains ne lui livrent pas les écrivains.

Je finis, Monsieur, comme j’ai commencé, par ma main franchement tendue, et en vous renouvelant pour tant de passages excellents de votre article, mes sincères remerciements. Recevez, je vous prie, l’expression de mon ancienne et inaltérable cordialité.

Victor Hugo.

Les absents n’ont droit qu’à l’oubli, pourtant permettez-moi de mettre aux pieds de votre noble et charmante femme mes empressements et mes respects.


La lettre de Victor Hugo à Cuvillier-Fleury, la visite de Mme  Victor Hugo à Édouard Bertin, avaient porté leurs fruits. Le rédacteur au Journal des Débats s’attacha, dans son second article, à ne donner qu’une critique littéraire.


LA MISE EN VENTE DE LA SECONDE PARTIE (COSETTE) ET DE LA TROISIÈME PARTIE (MARIUS).


La seconde et la troisième partie des Misérables devaient être mises en vente le 10 mai ; mais un petit conflit avait éclaté entre Paris et Bruxelles.

Pagnerre et Lacroix étaient bien d’accord sur la nécessité de hâter l’apparition du livre, d’abord pour ne pas suspendre l’intérêt trop longtemps, ensuite pour ne pas être surpris par une interdiction. Le dissentiment éclatait au sujet de la date. Lacroix demandait plusieurs jours de répit qui lui permettraient de servir tout d’abord les marchés étrangers. C’était, disait-il, le moyen d’empêcher la contrefaçon et de répandre le plus possible le livre au dehors au cas où l’interdiction serait prononcée.

Enfin les deux gouvernements de Paris et de Bruxelles s’étaient mis d’accord