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EFFET DE NEIGE.

L’enfant se remit à écarter la neige. Le cou de la morte se dégagea, puis le haut du torse, dont on voyait la chair sous des haillons.

Soudainement il sentit sous son tâtonnement un mouvement faible. C’était quelque chose de petit qui était enseveli, et qui remuait. L’enfant ôta vivement la neige, et découvrit un misérable corps d’avorton, chétif, blême de froid, encore vivant, nu sur le sein nu de la morte.

C’était une petite fille.

Elle était emmaillotée, mais de pas assez de guenilles, et, en se débattant, elle était sortie de ses loques. Sous elle ses pauvres membres maigres, et son haleine au-dessus d’elle, avaient un peu fait fondre la neige. Une nourrice lui eût donné cinq ou six mois, mais elle avait un an peut-être, car la croissance dans la misère subit de navrantes réductions qui vont parfois jusqu’au rachitisme. Quand son visage fut à l’air, elle poussa un cri, continuation de son sanglot de détresse. Pour que la mère n’eût pas entendu ce sanglot, il fallait qu’elle fût bien profondément morte.

L’enfant prit la petite dans ses bras.

La mère roidie était sinistre. Une irradiation spectrale sortait de cette figure. La bouche béante et sans souffle semblait commencer dans la langue indistincte de l’ombre la réponse aux questions faites aux morts dans l’invisible. La réverbération blafarde des plaines glacées était sur ce visage. On voyait le front, jeune sous les cheveux bruns, le froncement presque indigné des sourcils, les narines serrées, les paupières closes, les cils collés par le givre, et, du coin des yeux au coin des lèvres, le pli profond des pleurs. La neige éclairait la morte. L’hiver et le tombeau ne se nuisent pas. Le cadavre est le glaçon de l’homme. La nudité des seins était pathétique. Ils avaient servi ; ils avaient la sublime flétrissure de la vie donnée par l’être à qui la vie manque, et la majesté maternelle y remplaçait la pureté virginale. À la pointe d’une des mamelles il y avait une perle blanche. C’était une goutte de lait, gelée.

Disons-le tout de suite, dans ces plaines où le garçon perdu passait à son tour, une mendiante allaitant son nourrisson, et cherchant elle aussi un gîte, s’était, il y avait peu d’heures, égarée. Transie, elle était tombée sous la tempête ; et n’avait pu se relever. L’avalanche l’avait couverte. Elle avait, le plus qu’elle avait pu, serré sa fille contre elle, et elle avait expiré.

La petite fille avait essayé de téter ce marbre.

Sombre confiance voulue par la nature, car il semble que le dernier allaitement soit possible à une mère, même après le dernier soupir.

Mais la bouche de l’enfant n’avait pu trouver le sein, où la goutte de lait, volée par la mort, s’était glacée, et, sous la neige, le nourrisson, plus accoutumé au berceau qu’à la tombe, avait crié.