Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome VIII.djvu/293

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
275
ÉLOQUENCE EN PLEIN VENT.

je crois en Dieu, même quand il a tort. Seulement, quand je vois des ordures, — les erreurs sont des ordures, — je les balaie. Comment sais-je ce que je sais ? Cela ne regarde que moi. Chacun prend la science où il peut. Lactance faisait des questions à une tête de Virgile en bronze qui lui répondait ; Sylvestre II dialoguait avec les oiseaux ; les oiseaux parlaient-ils ? le pape gazouillait-il ? Questions. L’enfant mort du rabbin Éléazar causait avec saint Augustin. Entre-nous, je doute de tous ces faits, excepté du dernier. L’enfant mort parlait, soit ; mais il avait sous la langue une lame d’or, où étaient gravées diverses constellations. Donc il trichait. Le fait s’explique. Vous voyez ma modération. Je sépare le vrai du faux. Tenez, voici d’autres erreurs que vous partagez sans doute, pauvres gens du peuple, et dont je désire vous dégager. Dioscoride croyait qu’il y avait un dieu dans la jusquiame, Chrysippe dans le cynopaste, Josèphe dans la racine bauras, Homère dans la plante moly. Tous se trompaient. Ce qui est dans ces herbes, ce n’est pas un dieu, c’est un démon. Je l’ai vérifié. Il n’est pas vrai que le serpent qui tenu Ève eût, comme Cadmus, une face humaine. Garcias de Horto, Cadamosto et Jean Hugo, archevêque de Trêves, nient qu’il suffise de scier un arbre pour prendre un éléphant. J’incline à leur avis. Citoyens, les efforts de Lucifer sont la cause des fausses opinions. Sous le règne d’un tel prince, il doit paraître des météores d’erreur et de perdition. Peuple, Claudius Pulcher ne mourut pas parce que les poulets refusèrent de sortir du poulailler ; la vérité est que Lucifer ayant prévu la mort de Claudius Pulcher prit soin d’empêcher ces animaux de manger. Que Belzébuth ait donné à l’empereur Vespasien la vertu de redresser les boiteux et de rendre la vue aux aveugles en les touchant, c’était une action louable en soi, mais dont le motif était coupable. Gentlemen, défiez-vous des faux savants qui exploitent la racine de brioine et la couleuvrée blanche, et qui font des collyres avec du miel et du sang de coq. Sachez voir clair dans les mensonges. Il n’est point exact qu’Orion soit né d’un besoin naturel de Jupiter ; la vérité est que ce fut Mercure qui produisit cet astre de cette façon. Il n’est pas vrai qu’Adam eût un nombril. Quand saint Georges a tué un dragon, il n’avait pas près de lui la fille d’un saint. Saint Jérôme dans son cabinet n’avait pas sur sa cheminée une pendule ; premièrement, parce qu’étant dans une grotte, il n’avait pas de cabinet ; deuxièmement, parce qu’il n’avait pas de cheminée ; troisièmement, parce que les pendules n’existaient pas. Rectifions. Rectifions. Ô gentils qui m’écoutez, si l’on vous dit que quiconque flaire l’herbe valériane, il lui naît un lézard dans le cerveau, que dans la putréfaction le bœuf se change en abeilles et le cheval en frelons, que l’homme pèse plus mort que vivant, que le sang de bouc dissout l’émeraude, qu’une chenille, une mouche et une araignée aperçues sur le même arbre annoncent la famine, la guerre et la peste, qu’on