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IV

fascination

Il faut du temps pour revenir à la surface.

Gwynplaine avait été jeté au fond de la stupéfaction.

On ne prend pas tout de suite pied dans l’inconnu.

Il y a des déroutes d’idées comme il y a des déroutes d’armées ; le ralliement ne se fait point immédiatement.

On se sent en quelque sorte épars. On assiste à une bizarre dissipation de soi-même.

Dieu est le bras, le hasard est la fronde, l’homme est le caillou. Résistez donc, une fois lancé.

Gwynplaine, qu’on nous passe le mot, ricochait d’un étonnement sur l’autre. Après la lettre d’amour de la duchesse, la révélation de la cave de Southwark.

Dans une destinée, quand l’inattendu commence, préparez-vous à ceci : coup sur coup. Cette farouche porte une fois ouverte, les surprises s’y précipitent. La brèche faite à votre mur, le pêle-mêle des événements s’y engouffre. L’extraordinaire ne vient pas pour une fois.

L’extraordinaire, c’est une obscurité. Cette obscurité était sur Gwynplaine. Ce qui lui arrivait lui semblait inintelligible. Il percevait tout à travers ce brouillard qu’une commotion profonde laisse dans l’intelligence comme la poussière d’un écroulement. La secousse avait été de fond en comble. Rien de net ne s’offrait à lui. Pourtant la transparence se rétablit toujours peu à peu. La poussière tombe. D’instant en instant, la densité de l’étonnement décroît. Gwynplaine était comme quelqu’un qui aurait l’œil ouvert et fixe dans un songe, et qui tâcherait de voir ce qu’il y a dedans. Il décomposait ce nuage, puis le recomposait. Il avait des intermittences d’égarement. Il subissait cette oscillation de l’esprit dans l’imprévu, laquelle, tour à tour, vous pousse du côté où l’on comprend, puis vous ramène du côté où l’on ne comprend plus. À qui n’est-il pas arrivé d’avoir ce balancier dans le cerveau ?

Par degrés la dilatation se faisait en sa pensée dans les ténèbres de l’incident comme elle s’était faite en sa pupille dans les ténèbres du souterrain de Southwark. Le difficile, c’était de parvenir à mettre un certain espacement entre tant de sensations accumulées. Pour que cette combustion des idées troubles, dite compréhension, puisse s’opérer, il faut de l’air entre les émo-