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L’HOMME QUI RIT

Le jeune comte d’Annesley abordait le vieux lord Eure, lequel n’avait plus que deux ans à vivre, car il devait mourir en 1707.

— Mylord Eure ?
— Mylord Annesley ?
— Avez-vous connu lord Linnœus Clancharlie ?
— Un homme d’autrefois. Oui.
— Qui est mort en Suisse ?
— Oui. Nous étions parents.
— Qui avait été républicain sous Cromwell, et qui était resté républicain sous Charles II ?
— Républicain ? pas du tout. Il boudait. C’était une querelle personnelle entre le roi et lui. Je tiens de source certaine que lord Clancharlie se serait rallié si on lui avait donné la place de chancelier qu’a eue lord Hyde.
— Vous m’étonnez, mylord Eure. On m’avait dit que ce lord Clancharlie était un honnête homme.
— Un honnête homme ! Est-ce que cela existe ? Jeune homme, il n’y a pas d’honnête homme.
— Mais Caton ?
— Vous croyez à Caton, vous !
— Mais Aristide ?
— On a bien fait de l’exiler.
— Mais Thomas Morus ?
— On a bien fait de lui couper le cou.
— Et à votre avis, lord Clancharlie ?…
— Était de cette espèce. D’ailleurs un homme qui reste en exil, c’est ridicule.
— Il y est mort.
— Un ambitieux déçu. Oh ! si je l’ai connu ! je crois bien. J’étais son meilleur ami.
— Savez-vous, mylord Eure, qu’il s’était marié en Suisse ?
— Je le sais à peu près.
— Et qu’il a eu de ce mariage un fils légitime ?
— Oui. Qui est mort.
— Qui est vivant.
— Vivant !
— Vivant.
— Pas possible.
— Réel. Prouvé. Constaté. Homologué. Enregistré.
— Mais alors ce fils va hériter de la pairie de Clancharlie ?