Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Théâtre, tome IV.djvu/111

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Bâtis de pierre creuse et pleins d'hommes vivants.

On entendra rugir ces colosses farouches;

On verra frissonner le feu hors de leurs bouches;

Et rien ne restera debout que ces géants;

Et vos peuples hagards, terrifiés, béants,

Verront toute l'Espagne et vous et vos royaumes

Fuir en fumée autour de ces quatre fantômes.

Car toute clarté vient du vil quemadero.

Roi, vous disparaissez dans l'ombre du bourreau.

Le Roi s'assied sur un pliant, comme accablé.

Le Roi


Tout cela c'est le bien de l'église.

Le Marquis


Et la perte Du trône.

La Castille est de charniers couverte,

Et l'épouvante éparse au loin pousse des cris.

Se rapprochant du roi.

Ah! vous vous débattez en vain. Vous êtes pris.

Au-dessus de l'Espagne est tendue une toile

Sombre, à travers laquelle on voit Dieu, vague étoile,

Réseau noir que Satan sur la terre riva

Et tira fil à fil du flanc de Jéhovah,

Piège où l'esprit humain misérable se brise,

Espèce de rosace immense d'une église

Infinie, où l'enfer luit sur le maître-autel;

Là frissonnent l'horreur, la nuit, l'effroi mortel;

Et le monde regarde avec des yeux funèbres

Cette chose qu'il a sur lui dans les ténèbres;

Il songe au vieux Baal qui jadis l'étouffait;

Grandir est un abus, penser est un forfait;

On est hardi de vivre, et c'est un péril d'être.

Au centre de la toile obscure on voit le prêtre,

Cette araignée, avec cette mouche le roi.

Le Roi


baisse la tête. Le marquis l'observe et continue.

Certes, c'est un sujet de surprise et d'effroi

Que ce vil écheveau, vœux, cloître, dogme, règle,

Ait pu faire une toile énorme à prendre un aigle.

Mais c'est fait. L'aigle est pris. L'aigle, à l'heure qu'il est,

N'a plus qu'un tremblement d'aile dans le filet.