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rattachés des pièces de monnaie qui brillent, et, dans les tresses en désordre, une plume nouée qui semble couleur de feu.

ZINEB.

J’ai cent ans. Le moment est venu de mourir.

Pensive et accoudée au parapet.

Cent ans.

Cent ans. Elle détache de sa coiffure la plume et la considère.

Cent ans. Ce talisman ne peut me secourir
Désormais.

Désormais. Elle replace la plume dans ses cheveux.

Désormais. J’ai fini ma tâche. Allons au gîte.

Elle se met en marche lentement. Elle s’arrête et lève la tête.

J’entends dans ce branchage une aile qui palpite.
C’est le tressaillement d’angoisse d’un oiseau.
Car l’homme et l’animal sont le même roseau ;
L’éternel vent de mort nous courbe tous ensemble.

Elle regarde dans les arbres.

C’est un ramier blessé.

On voit un pigeon voleter au-dessus d’elle.

C’est un ramier blessé. Viens, oiseau.

Le pigeon descend de rameau en rameau et tombe à terre en dedans du mur d’enceinte. Zineb franchit le parapet. L’oiseau se laisse prendre. Elle le réchauffe dans ses mains.

C’est un ramier blessé. Viens, oiseau. Comme il tremble !

Elle l’examine.

Oui, c’est un des pigeons messagers du couvent
Par qui les prêtres vont sans cesse s’écrivant,
Afin de tout savoir et de tout se transmettre.

Le pigeon a un papier noué à la patte.

Un papier. Justement. Il apporte une lettre.
Il revient de la ville. Et, quand il a passé,
Quelque chasseur l’aura d’un grain de plomb blessé.
La lettre vient à moi, donc il faut que je lise.

Elle dénoue avec précaution de la patte du pigeon le papier qu’elle déploie, et elle lit :

« De l’évêque à l’abbé. — S’il touche à ton église,
« On touchera son trône. »

« On touchera son trône. » Rêvant.

« On touchera son trône. » Un avis, un envoi
De prêtre à prêtre avec une menace au roi.