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MANGERONT-ILS ?

Laissez faire. Je vais chasser aux environs.
N’eussions-nous que des noix, mordieu ! nous mangerons.

LADY JANET.

Cet homme m’a fait peur, mais il rit d’un bon rire.

LORD SLADA.

Qu’es-tu ?

AÏROLO.

Qu’es-tu ? Celui qui rôde. Un passant. Pour tout dire,
Je suis pour les humains ce que, pardonnons-leur,
En langage vulgaire ils nomment un voleur.

À Lady Janet.À lord Slada.

Ô la plus belle ! ô sire aimable entre les sires !
Ayant un peu le temps de causer, vu les sbires
Qui nous guettent, je vais, pour charmer vos ennuis,
Vous dire de mon mieux qui je suis, si je puis.

Il se place entre eux deux et prend sous un de ses bras le bras de lord Slada et sous l’autre le bras de lady Janet.
Mes bons amis, il est deux hommes sur la terre :

Le roi, moi. Moi la tête, et lui le cimeterre.
Je pense, il frappe. Il règne, on le sert à genoux ;
Moi, j’erre dans les bois. Tout tremble autour de nous ;
Autour de moi c’est l’arbre, autour de lui c’est l’homme.
Le meilleur vin de Chypre emplit son vidrecome ;
Moi, je bois au ruisseau dans le creux de ma main.
Le roi fait toujours bien, moi toujours mal. Amen.
Lui couronné, moi pris, nous marchons en cortège ;
Chers, il vous persécute et moi je vous protège ;
Le prince est la médaille, et je suis le revers ;
Et nous sommées tous deux mangés des mêmes vers.
Peut-être en ma caverne on fait un meilleur somme
Que dans la sienne. Il est fort vulnérable, en somme ;
Il peut aussi finir par être échec et mat.
Le roi, c’est mon contraire. Ou bien mon grand format.
Je suis un conquérant de liards dans les poches,
Mais j’ai l’honnêteté des bonnes vieilles roches ;
Je suis le va-nu-pieds, mais non pas l’aigrefin ;
Je livre la bataille immense de la faim
Contre le superflu des autres. Qu’on me dise
Que j’ai tort si la faim devient la gourmandise,