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THÉÂTRE EN LIBERTÉ.

D’accord, mais je suis maigre. Amis, j’habite aux champs,
Et je tiens compagnie aux arbres point méchants ;
Mon antre a la gaîté décente d’une cave.
Là je jeûne pendant que le moineau se gave,
La nature ayant tout prévu, l’homme excepté.
L’hiver, de droit je gèle, ayant sué l’été.
Près de moi la perdrix glousse, le mouton bêle ;
Car je suis un flâneur bien plutôt qu’un rebelle.
Parfois dans les genêts, comme moi sauvageons,
Je rencontre un passant, je lui dis : Partageons.
Ta bourse ? — Je n’ai rien. — Alors prends mon pain.

À lady Janet avec un sourire

Ta bourse ? — Je n’ai rien. — Alors prends mon pain. Belle,
Absolvez-moi. Je vis dans la loi naturelle ;
Attentif après tout au chant des bois, bien plus
Qu’aux voyageurs passant avec des sacs joufflus.
Avril vient tous les ans me faire mon ménage.
Faut-il vous compléter mon portrait ? Braconnage,
C’est mon instinct. Pensif, je dédaigne de loin
Le juge, plus le prêtre ; et je n’ai pas besoin
De vos religions, je lis Dieu sans lunettes.
J’aime les rossignols et les bergeronnettes.
J’ignore si j’arrive et ne sais si je pars.
Parfois dans le zéphir je me sens presque épars.
Amants, soyez un feu ; je suis une fumée.
Ma silhouette glisse et fond dans la ramée.
Dans les chaleurs, quand juin met à sec le torrent,
Au plus épais du bois je me glisse, espérant
Surprendre le sommeil divin des nymphes lasses.
De vagues nudités au fond des clairs espaces
Que je verrais de loin, ou que je croirais voir,
Me suffiraient, l’amour ne valant pas l’espoir.
Je suis le néant, gai. Supposez une chose
Qui n’est pas, et qui rit ; c’est moi. Je me repose,
Et laisse le bon Dieu piocher. Dévotement,
J’écoute l’air, la pluie, et ce fier grondement
Des brutes dans les champs, de l’autan dans la nue,
Que la mer accompagne en basse continue ;
Le soir j’accroche un rêve à l’astre qui me luit,
Clou de la panoplie immense de la nuit.
Je songe, c’est beaucoup. Les fleurs, voilà mon faste.
Si quelque détail cloche en ce monde si vaste,
Je n’en triomphe point, tout en l’apercevant ;
Je subis les accès de colère du vent