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MANGERONT-ILS ?



SCÈNE SIXIÈME.

AÏROLO, ZINEB.
AÏROLO, il achève d’escalader l’enceinte.

C’est peut-être le roi qui m’appelle. Hun !… ouf !… ah !

Il arrive sur le parapet et y dépose la vieille immobile et inerte
comme si elle était morte.
Ce bois est singulier, ma parole, on y va

Chercher une noisette, on rapporte une femme.
J’ai cueilli cette vieille. Elle est bien mûre, et l’âme
Ne tient guère à ce corps frêle, usé, transparent,
Et que je viens encor de fêler en courant.

Il franchit le parapet, et pose doucement Zineb à terre.
C’est la pauvre Zineb.
C’est la pauvre Zineb. Il la considère essoufflé.

C’est la pauvre Zineb. J’ai, sans que rien m’arrête,
Couru, pour la tirer des pattes de la bête
Qu’on appelle Justice.

Il la regarde avec une sorte de tendresse et d’admiration,
puis il regarde la forêt.
Qu’on appelle Justice. Elle est l’âme d’ici.

Je la connais. Parfois, laissant là tout souci,
Nous voleurs, nous causons, nous nous donnons relâche.
Nous avons avec l’homme un rire aimable et lâche,
Nous nous chauffons les pieds au feu du chevrier,
Nous nous humanisons enfin, pour varier.
Elle, jamais. Elle a pour loi d’être à distance.
Elle tâche de voir dans l’invisible, et pense,
Et dédaigne. Jamais ce cœur ne s’asservit
Ni ne plia, depuis un siècle qu’elle vit.
Souvent son grand front blême argenté par la lune
M’est apparu. Son antre est là-bas. À la brune,
Et dès l’aube, elle va dans les rochers rôdant.
Nous ne nous parlons pas, sans nous fuir cependant.
Elle a je ne sais quoi, sous son voile de serge,
D’une mère farouche et d’une sombre vierge.
Quoique de même espèce, elle m’intimidait.
Elle est démon du bois dont je suis farfadet.