Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Théâtre, tome V.djvu/143

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
129
MANGERONT-ILS ?

Je l’ai fait.

Il achève de la couvrir d’herbes et de feuilles.
Je l’ai fait. Retournons en chasse maintenant.
Se tournant du côté de Zineb.

Je crois bien la trouver défunte en revenant.
Hélas ! le moindre souffle éteint ces vieilles lampes.
Mes deux chers amoureux doivent avoir des crampes !

Rêveur.

Quand l’estomac trahit, l’amour est en danger.
Le cœur veut roucouler, le gésier veut manger.
Le cœur a ses bonheurs, l’estomac ses misères,
Et c’est une bataille entre ces deux viscères.
Lequel l’emportera ? L’estomac. Donc, tâchons
De leur venir en aide. Ah ! sous vos capuchons,
Moines, soyez maudits, vil troupeau, tas fossile,
De mettre au traquenard le masque de l’asile !

Regardant autour de lui.

Mais où diable sont-ils ?

Il se met à fureter dans la ruine. Arrivé au porche-cellule, qui est à droite, il écarte les branchages qui masquent l’ogive, et l’on voit comme dans une alcôve lord Slada et lady Janet couchés et endormis, l’un près de l’autre, sur un lit de fougère. Au delà des deux endormis, on aperçoit l’autre issue du porche.

Mais où diable sont-ils ? Dans ce caveau ! Dormant !

Regardant tour à tour Zineb à demi couverte de feuilles et les yeux fermés,
et le couple assoupi.
Ah ! l’admirable effet de cet endroit calmant !

Ici l’on meurt. — Ici l’on dort. — La même chose.
Presque.

Presque. Considérant Zineb.

Presque. Pauvre chardon desséché !

Presque. Pauvre chardon desséché ! Considérant lady Janet.

Presque. Pauvre chardon desséché ! Pauvre rose !

S’approchant des deux amants.

Tout les menace. Ils n’ont que moi qui les défends.
Qui dort dîne. Ils font bien de dormir. Chers enfants,
A la réalité que l’oubli nous enlève !
Mangez de la chimère à la table du rêve.

Il entre en contemplation devant lady Janet.

Qu’elle est belle !

Qu’elle est belle ! Se détournant.

Qu’elle est belle ! Un moment, Aïrolo, mon cher !