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[LES DEUX HONNEURS][1]



[Le duc Arnould, épris de Margaretha, ne lui laisse, pour sauver la vie de son père, que cette alternative : ou elle sera à lui, ou la ville assiégée se rendra.]


MARGARETHA. — BERTHOLD.
MARGARETHA.

Il faut que je lui cède ou que vous lui cédiez.

BERTHOLD.

Cédez-lui. Quant à moi je ne rends pas la ville.
Altesse, je n’ai point la manière incivile,
Mais expliquons-nous bien et causons toutefois.
Si le hasard, tenant sa balance à faux poids,
Met dans les deux plateaux mon honneur et le vôtre,
S’il faut se décider et choisir l’un ou l’autre,
Je vous déclare ici, moi soldat, moi seigneur,
Que je préférerai, madame, mon honneur.
Vous êtes fiancée et vous dites : Mon âme
Appartient à celui dont je serai la femme.
Vous êtes la beauté. Votre honneur, c’est l’amour.
Moi je suis le devoir, muré dans une tour.
L’honneur des femmes, c’est un parfum qui s’envole,
C’est un souffle, un rayon, une frêle corolle
Que le caprice fane en venant s’y poser ;
C’est une fleur qui meurt sous le pli d’un baiser.
On passe, on dit : C’est bien ; elle est déshonorée.
Et l’on rit. Et la femme éclatante, admirée,

  1. Nous avons remis dans ce volume les scènes et fragments parus dans l’édition originale de Dernière Gerbe. Les titres placés entre crochets n’existent pas sur le manuscrit.