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THÉÂTRE EN LIBERTÉ.


VI

FIASQUE, PAMFILO, docteur ès sciences et mendiant.
FIASQUE.

.................. Les hommes sont mauvais,
Traîtres et vils, j’en ai mon saoul, et je m’en vais.
Je ne veux plus rien voir des actions humaines.
À force de colère, et de rage et de haines,
Je deviens effaré, rêveur, songeur, hibou,
Et si sage qu’on va me prendre pour un fou !
Je pars. Je me souviens combien étaient augustes
Les philosophes purs, ces prophètes, ces justes,
Les Mathanasius et les Favorinus,
Lorsqu’ils usaient du droit sacré d’aller tout nus !
J’ai comme ces docteurs et comme ces pontifes
Des ongles qui pourront se transformer en griffes ;
Comme eux tous j’ai le droit qui ne saurait me fuir
De recevoir la pluie à même sur mon cuir ;
J’ai le droit que reprend tout homme solitaire
De vivre dans un trou qu’il creuse dans la terre ;
J’ai le droit de manger de l’herbe comme font
Les sangliers pensifs dans le marais profond ;
J’ai le droit, j’ai le droit, qui suffit à mon âme,
De ne dire jamais ni monsieur ni madame,
De brouter loin des gens, à mon aise, à mon choix,
Et d’être furieux tout seul au fond des bois !
Ô farouche existence ! heureuse, libre et fière !
Où donc est la forêt ? où donc est la bruyère ?
Où sont les lieux obscurs, ténébreux et vivants ?
Les taillis, les rochers où murmurent les vents,
Les ronces obstruant les granits et les marbres,
Et les chants des oiseaux qui remplissent les arbres !
Oh ! recevez mon âme, asiles éternels !

PAMFILO.

Mon cher, dans les pays constitutionnels,
On ne va pas tout nu. Rôder ! brouter les herbes !