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LA GRAND’MÈRE.

D’être une femme. On a des enfants. Trop de gloire
Ça gêne. Un ange vit sans manger et sans boire.
Moi, je dîne, j’ai faim, tu sais comme je bois,
Et j’aime bien manger des fraises dans les bois.
Un ange est impalpable, il fuit, rien ne le touche.
Un baiser, c’est bien doux. Si l’on n’a pas de bouche,
Comment faire ? Et la nuit, si l’on ne dort jamais,
On s’en va donc planer seule sur des sommets.
C’est trop beau. Non. J’ai peur de l’azur, je me sauve.
J’aime mieux nos repas sur l’herbe, notre alcôve,
Nos fleurs, notre sommeil ensemble, nos rideaux,
Et des mioches au sein que des ailes au dos.
Oh ! qu’il vienne jamais une heure où je préfère
Le paradis à Charle et le ciel à la terre,
Il faut rayer cela de vos papiers, bon Dieu.

CHARLES.

Reste femme, et sois ange.

EMMA GEMMA.

Reste femme, et sois ange. Ah ! ça me trouble un peu.

CHARLES, pensif.

La naissance implacable est attachée à l’homme.
Oui, si je n’étais point par malheur ce qu’on nomme
Un prince, je dirais : un éden m’est échu.

EMMA GEMMA.

Tant pis, il fait si chaud que j’ôte mon fichu.
On est chez soi. Cette ombre est très peu fréquentée.
C’est égal, je serais bien trop décolletée,
Si nous n’étions pas seuls.

CHARLES.

Si nous n’étions pas seuls. Ève, vous me tentez.

Il veut l’embrasser. Elle s’enfuit en riant derrière le saule.

Ce saule est dans Virgile. — Oh ! viens à mes côtés.

Il s’assied sur le banc de gazon.