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LA GRAND’MÈRE.

Emma, tu vas, tu viens, tu me parles, sans quoi
Je mourrais. Avec nous l’ombre est de connivence ;
Peut-être quelque bras pour nous saisir s’avance,
Mais cet âpre désert nous cache, et, doucement,
Nous adopte, gagné par ton enchantement.
On te sent dans ces bois une espèce de fée.
Tu dois, à ton insu d’un nimbe d’or coiffée,
Être une sainte ailleurs, dont c’est la fête ici.
Tu m’aimais à seize ans ! Oui, tout te dit : merci !
L’épanouissement universel t’encense.
Être une grâce, Emma, c’est être une puissance.
Ô solitude ! on aime, et vivre semble aisé.
C’est l’été, c’est midi, tout pardonne apaisé.
L’eau court sous les cressons, l’oiseau dans l’azur plonge,
Et les arbres profonds ont l’air de faire un songe.
Dieu tient l’homme, et l’emplit d’amour, en se servant
Des bois, du mois de mai, du nuage et du vent.
La vie auprès de toi, que sais-je ? c’est le charme.
Nos enfants sur le seuil, dans les fleurs une larme,
Tout jusqu’à ces gazons qui languissent le soir,
Prétextes à te mettre aux mains un arrosoir,
Et quelque pâtre au loin dont on entend la flûte !
Vois-tu, je n’admets pas, mon ange, une minute,
Que je puisse être au monde et ne point t’adorer.

EMMA GEMMA, l’œil humide.

Oh ! rire prouve moins le bonheur que pleurer.
Ces larmes, c’est la joie.

CHARLES.

Ces larmes, c’est la joie. Ô ma femme !

Ils s’embrassent. Les enfants interrompent leur jeu.
CÉCILE, tirant Charles par l’habit.

Ces larmes, c’est la joie. Ô ma femme ! Et nous, père !

Charles et Emma se retournent.
EMMA GEMMA, souriant.

Ils sont jaloux.

Charles et Emma Gemma embrassent les enfants.