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LE DROIT ET LA LOI.

grands aient pitié des petits, et que les petits fassent grâce aux grands. Quand donc comprendra-t-on que nous sommes sur le même navire, et que le naufrage est indivisible ? Cette mer qui nous menace est assez grande pour tous, il y a de l’abîme pour vous comme pour moi. Je l’ai dit déjà ailleurs, et je le répète. Sauver les autres, c’est se sauver soi-même. La solidarité est terrible, mais la fraternité est douce. L’une engendre l’autre. Ô mes frères, soyons frères !

Voulons-nous terminer notre malheur ? renonçons à notre colère. Réconcilions-nous. Vous verrez comme ce sourire sera beau.

Envoyons aux exils lointains la flotte lumineuse du retour, restituons les maris aux femmes, les travailleurs aux ateliers, les familles aux foyers, restituons-nous à nous-mêmes ceux qui ont été nos ennemis. Est-ce qu’il n’est pas enfin temps de s’aimer ? Voulez-vous qu’on ne recommence pas ? finissez. Finir, c’est absoudre. En sévissant, on perpétue. Qui tue son ennemi fait vivre la haine. Il n’y a qu’une façon d’achever les vaincus, leur pardonner. Les guerres civiles s’ouvrent par toutes les portes et se ferment par une seule, la clémence. La plus efficace des répressions, c’est l’amnistie. Ô femmes qui pleurez, je voudrais vous rendre vos enfants.

Ah ! je songe aux exilés. J’ai par moments le cœur serré. Je songe au mal du pays. J’en ai eu ma part peut-être. Sait-on de quelle nuit tombante se compose la nostalgie ? Je me figure la sombre âme d’un pauvre enfant de vingt ans qui sait à peine ce que la société lui veut, qui subit pour on ne sait quoi, pour un article de journal, pour une page fiévreuse écrite dans la folie, ce supplice démesuré, l’exil éternel, et qui, après une journée de bagne, le crépuscule venu, s’assied sur la falaise sévère, accablé sous l’énormité de la guerre civile et sous la sérénité des étoiles ! Chose horrible, le soir et l’océan à cinq mille lieues de sa mère !

Ah ! pardonnons !

Ce cri de nos âmes n’est pas seulement tendre, il est raisonnable. La douceur n’est pas seulement la douceur, elle est l’habileté. Pourquoi condamner l’avenir au gros-