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AVANT L’EXIL. — ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE.

On cherche autour de soi avec anxiété, on se regarde, et l’on se demande :

Qui est-ce qui fait tout ce ravage ? Qui est-ce qui fait tout le mal ? quel est le coupable ? qui faut-il punir ? qui faut-il frapper ?

Le parti de la peur, en Europe, dit : C’est la France. En France, il dit : C’est Paris. À Paris, il dit : C’est la presse. L’homme froid qui observe et qui pense dit : Le coupable, ce n’est pas la presse, ce n’est pas Paris, ce n’est pas la France ; le coupable, c’est l’esprit humain ! (Mouvement.)

C’est l’esprit humain. L’esprit humain qui a fait les nations ce qu’elles sont ; qui, depuis l’origine des choses, scrute, examine, discute, débat, doute, contredit, approfondit, affirme et poursuit sans relâche la solution du problème éternellement posé à la créature par le créateur. C’est l’esprit humain qui, sans cesse persécuté, combattu, comprimé, refoulé, ne disparaît que pour reparaître, et, passant d’une besogne à l’autre, prend successivement de siècle en siècle la figure de tous les grands agitateurs ! C’est l’esprit humain qui s’est nommé Jean Huss, et qui n’est pas mort sur le bûcher de Constance (Bravo !) ; qui s’est nommé Luther, et qui a ébranlé l’orthodoxie ; qui s’est nommé Voltaire, et qui a ébranlé la foi ; qui s’est nommé Mirabeau, et qui a ébranlé la royauté ! (Longue sensation.) C’est l’esprit humain qui, depuis que l’histoire existe, a transformé les sociétés et les gouvernements selon une loi de plus en plus acceptable par la raison, qui a été la théocratie, l’aristocratie, la monarchie, et qui est aujourd’hui la démocratie. (Applaudissements.) C’est l’esprit humain qui a été Babylone, Tyr, Jérusalem, Athènes, Rome, et qui est aujourd’hui Paris ; qui a été tour à tour, et quelquefois tout ensemble, erreur, illusion, hérésie, schisme, protestation, vérité ; c’est l’esprit humain qui est le grand pasteur des générations, et qui, en somme, a toujours marché vers le juste, le beau et le vrai, éclairant les multitudes, agrandissant les âmes, dressant de plus en plus la tête du peuple vers le droit et la tête de l’homme vers Dieu. (Explosion de bravos.)

Eh bien ! je m’adresse au parti de la peur, non dans cette chambre, mais partout où il est en Europe, et je lui dis :