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AVANT L’EXIL. — ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE.

les États-Unis d’Europe ! (Mouvement. Long éclat de rire à droite.[1])

Cette révolution, inouïe dans l’histoire, c’est l’idéal des grands philosophes réalisé par un grand peuple, c’est l’éducation des nations par l’exemple de la France. Son but, son but sacré, c’est le bien universel, c’est une sorte de rédemption humaine. C’est l’ère entrevue par Socrate, et pour laquelle il a bu la ciguë ; c’est l’œuvre faite par Jésus-Christ, et pour laquelle il a été mis en croix ! (Vives réclamations à droite. — Cris : À l’ordre ! — Applaudissements répétés à gauche. Longue et générale agitation.)

M. de Fontaine et plusieurs autres. — C’est un blasphème !

M. de Heeckeren[2]. — On devrait avoir le droit de siffler, si on applaudit des choses comme celles-là !

M. Victor Hugo. — Messieurs, qu’on dise ce que je viens de dire ou du moins qu’on le voie, — car il est impossible de ne pas le voir, la révolution française, la république française, Bonaparte l’a dit, c’est le soleil ! — qu’on le voie donc et qu’on ajoute : Eh bien ! nous allons détruire tout cela, nous allons supprimer cette révolution, nous allons jeter bas cette république, nous allons arracher des mains de ce peuple le livre du progrès et y raturer ces trois dates : 1792, 1830, 1848 ; nous allons barrer le passage à cette grande insensée, qui fait toutes ces choses sans nous demander conseil, et qui s’appelle la providence. Nous allons faire reculer la liberté, la philosophie, l’intelligence, les générations ; nous allons faire reculer la France, le siècle, l’humanité en marche ; nous allons faire reculer Dieu ! (Profonde sensation.) Messieurs, qu’on dise cela, qu’on rêve cela, qu’on s’imagine cela, voilà ce que

  1. Ce mot, les États-Unis d’Europe, fit un effet d’étonnement. Il était nouveau. C’était la première fois qu’il était prononcé à la tribune. Il indigna la droite, et surtout l’égaya. Il y eut une explosion de rires, auxquels se mêlaient des apostrophes de toutes sortes. Le représentant Bancel en saisit au passage quelques-unes, et les nota. Les voici :

    M. de Montalembert. — Les États-Unis d’Europe ! C’est trop fort. Hugo est fou.

    M. Molé. — Les États-Unis d’Europe ! Voilà une idée ! Quelle extravagance !

    M. Quentin-Bauchard. — Ces poëtes ! (Note de l’éditeur.)

  2. Plus tard sénateur de l’empire, à 30, 000 francs par an.