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AVANT L’EXIL. — COUR D’ASSISES.

résigné à ne point soutenir le contraire, ce mot ne peut signifier suppression, sous prétexte de respect, de la critique des lois. Ce mot signifie tout simplement respect de l’exécution des lois. Pas autre chose. Il permet la critique, il permet le blâme, même sévère, nous en voyons des exemples tous les jours, et même à l’endroit de la constitution, qui est supérieure aux lois. Ce mot permet l’invocation au pouvoir législatif pour abolir une loi dangereuse. Il permet enfin qu’on oppose à la loi un obstacle moral. Mais il ne permet pas qu’on lui oppose un obstacle matériel. Laissez exécuter une loi, même mauvaise, même injuste, même barbare, dénoncez-la à l’opinion, dénoncez-la au législateur, mais laissez-la exécuter. Dites qu’elle est mauvaise, dites qu’elle est injuste, dites qu’elle est barbare, mais laissez-la exécuter. La critique, oui ; la révolte, non. Voilà le vrai sens, le sens unique de ce mot, respect des lois.

Autrement, messieurs, pesez ceci. Dans cette grave opération de l’élaboration des lois, opération qui comprend deux fonctions, la fonction de la presse, qui critique, qui conseille, qui éclaire, et la fonction du législateur, qui décide, — dans cette grave opération, dis-je, la première fonction, la critique, serait paralysée, et par contre-coup la seconde. Les lois ne seraient jamais critiquées, et, par conséquent, il n’y aurait pas de raison pour qu’elles fussent jamais améliorées, jamais réformées, l’assemblée nationale législative serait parfaitement inutile. Il n’y aurait plus qu’à la fermer. Ce n’est pas là ce qu’on veut, je suppose. (On rit.)

Ce point éclairci, toute équivoque dissipée sur le vrai sens du mot « respect dû aux lois », j’entre dans le vif de la question.

Messieurs les jurés, il y a, dans ce qu’on pourrait appeler le vieux code européen, une loi que, depuis plus d’un siècle, tous les philosophes, tous les penseurs, tous les vrais hommes d’état, veulent effacer du livre vénérable de la législation universelle ; une loi que Beccaria a déclarée impie et que Franklin a déclarée abominable, sans qu’on ait fait de procès à Beccaria ni à Franklin ; une loi qui, pesant particulièrement sur cette portion du peuple