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AVANT L’EXIL. — COUR D’ASSISES.

ce qui est. Il y aura toujours quelque chose qui tournera sous les pieds de l’inquisiteur. Ah ! tu veux l’immobilité, inquisiteur ! J’en suis fâché, Dieu a fait le mouvement. Galilée le sait, le voit et le dit. Punis Galilée, tu n’atteindras pas Dieu !

Marchez donc, et, je vous le répète, ayez confiance ! Les choses pour lesquelles et avec lesquelles vous luttez sont de celles que la violence même du combat fait resplendir. Quand on frappe sur un homme, on en fait jaillir du sang ; quand on frappe sur la vérité, on en fait jaillir de la lumière.

Vous dites que le peuple aime mon nom, et vous me demandez ce que vous voulez bien appeler mon appui. Vous me demandez de vous serrer la main en public. Je le fais, et avec effusion. Je ne suis rien qu’un homme de bonne volonté. Ce qui fait que le peuple, comme vous dites, m’aime peut-être un peu, c’est qu’on me hait beaucoup d’un certain côté. Pourquoi ? je ne me l’explique pas.

Vraiment, je ne m’explique pas pourquoi les hommes, aveuglés la plupart et dignes de pitié, qui composent le parti du passé, me font à moi et aux miens l’honneur d’une sorte d’acharnement spécial. Il semble, à de certains moments, que la liberté de la tribune n’existe pas pour moi, et que la liberté de la presse n’existe pas pour mes fils. Quand je parle à l’assemblée, les clameurs font effort pour couvrir ma voix ; quand mes fils écrivent, c’est l’amende et la prison. Qu’importe ! Ce sont là les incidents. Nos blessures ne sont qu’un détail. Pardonnons nos griefs personnels. Qui que nous soyons, fussions-nous condamnés, nos juges eux-mêmes sont nos frères. Ils nous ont frappés d’une sentence, ne les frappons pas même d’une rancune. À quoi bon perdre vingt-quatre heures à maudire ses juges quand on a toute sa vie pour les plaindre ? Et puis maudire quelqu’un ! à quoi bon ? Nous n’avons pas le temps de songer à cela, nous avons autre chose à faire. Fixons les yeux sur le but, voyons le bien du peuple, voyons l’avenir ! On peut être frappé au cœur et sourire.

Savez-vous ? j’irai tout cet hiver dîner chaque jour à la Conciergerie avec mes enfants. Dans le temps où nous sommes, il n’y a pas de mal à s’habituer à manger un peu de pain de prison.