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LA DÉPORTATION.

possible que cette assemblée adoptât la loi qu’on lui propose, il y aurait, je le dis à regret, il y aurait un spectacle douloureux à mettre en regard de la mémorable journée que je vous rappelais en commençant. Ce serait une époque de calme défaisant à loisir ce qu’a fait de grand et de bon, dans une sorte d’improvisation sublime, une époque de tempête. (Très bien !) Ce serait la violence dans le sénat, contrastant avec la sagesse dans la place publique. (Bravo à gauche.) Ce serait les hommes d’état se montrant aveugles et passionnés là où les hommes du peuple se sont montrés intelligents et justes ! (Murmures à droite.) Oui, intelligents et justes ! Messieurs, savez-vous ce que faisait le peuple de février en proclamant la clémence ? Il fermait la porte des révolutions. Et savez-vous ce que vous faites en décrétant les vengeances ? Vous la rouvrez. (Mouvement prolongé.)

Messieurs, cette loi, dit-on, n’aura pas d’effet rétroactif et est destinée à ne régir que l’avenir. Ah ! puisque vous prononcez ce mot, l’avenir, c’est précisément sur ce mot et sur ce qu’il contient que je vous engage à réfléchir. Voyons, pour qui faites-vous cette loi ? Le savez-vous ? (Agitation sur tous les bancs.)

Messieurs de la majorité, vous êtes victorieux en ce moment, vous êtes les plus forts, mais êtes-vous sûrs de l’être toujours ? (Longue rumeur à droite.)

Ne l’oubliez pas, le glaive de la pénalité politique n’appartient pas à la justice, il appartient au hasard. (L’agitation redouble.) Il passe au vainqueur avec la fortune. Il fait partie de ce hideux mobilier révolutionnaire que tout coup d’état heureux, que toute émeute triomphante trouve dans la rue et ramasse le lendemain de la victoire, et il a cela de fatal, ce terrible glaive, que chaque parti est destiné tour à tour à le tenir dans sa main et à le sentir sur sa tête. (Sensation générale.)

Ah ! quand vous combinez une de ces lois de vengeance (Non ! non ! à droite), que les partis vainqueurs appellent lois de justice dans la bonne foi de leur fanatisme (mouvement), vous êtes bien imprudents d’aggraver les peines et de multiplier les rigueurs. (Nouveau mouvement.) Quant à moi, je ne sais pas moi-même, dans cette époque de