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AVANT L’EXIL. — ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE

dant, parlez, écrivez, discutez, enseignez, éclairez ; éclairez-vous, éclairez les autres. Vous avez à vous, aujourd’hui, la vérité, demain la souveraineté, vous êtes forts. Quoi ! deux modes d’action sont à votre disposition, le droit du souverain et le rôle du rebelle, vous choisiriez le rôle du rebelle ! ce serait une sottise et ce serait un crime. (Applaudissements à gauche.)

Voilà les conseils que donne aux classes souffrantes le suffrage universel. (Oui ! oui ! à gauche. — Rires à droite.) Messieurs, dissoudre les animosités, désarmer les haines, faire tomber la cartouche des mains de la misère, relever l’homme injustement abaissé et assainir l’esprit malade par ce qu’il y a de plus pur au monde, le sentiment du droit librement exercé, reprendre à chacun le droit de force, qui est le fait naturel, et lui rendre en échange la part de souveraineté, qui est le fait social, montrer aux souffrances une issue vers la lumière et le bien-être, éloigner les échéances révolutionnaires et donner à la société, avertie, le temps de s’y préparer, inspirer aux masses cette patience forte qui fait les grands peuples, voilà l’œuvre du suffrage universel (sensation profonde), œuvre éminemment sociale au point de vue de l’état, éminemment morale au point de vue de l’individu.

Méditez ceci, en effet : sur cette terre d’égalité et de liberté, tous les hommes respirent le même air et le même droit. (Mouvement.) Il y a dans l’année un jour où celui qui vous obéit se voit votre pareil, où celui qui vous sert se voit votre égal, où chaque citoyen, entrant dans la balance universelle, sent et constate la pesanteur spécifique du droit de cité, et où le plus petit fait équilibre au plus grand. (Bravo ! à gauche. — On rit à droite.) Il y a un jour dans l’année où le gagne-pain, le journalier, le manœuvre, l’homme qui traîne des fardeaux, l’homme qui casse des pierres au bord des routes, juge le sénat, prend dans sa main, durcie par le travail, les ministres, les représentants, le président de la république, et dit : La puissance, c’est moi ! Il y a un jour dans l’année où le plus imperceptible citoyen, où l’atome social participe à la vie immense du pays tout entier, où la plus étroite poitrine se dilate à l’air vaste des affaires publiques ; un jour où le plus faible sent