Page:Hugo - Actes et paroles - volume 3.djvu/122

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avait traversé les sept cercles de l’enfer du prolétaire. Comme vous le voyez, cet homme, si jeune encore, avait été éprouvé de tous les côtés, et l’infortune l’avait trouvé solide.

Depuis le 2 décembre, il était proscrit.

Pourquoi ? pour quel crime ?

Son crime, c’était le mien à moi qui vous parle, c’était le vôtre à vous qui m’écoutez. Il était républicain dans une république ; il croyait que celui qui a prêté un serment doit le tenir, que, parce qu’on est ou qu’on se croit prince, on n’est pas dispensé d’être honnête homme, que les soldats doivent obéir aux constitutions, que les magistrats doivent respecter les lois ; il avait ces idées étranges, et il s’est levé pour les soutenir ; il a pris les armes, comme nous l’avons tous fait, pour défendre les lois ; il a fait de sa poitrine le bouclier de la constitution ; il a accompli son devoir, en un mot. C’est pour cela qu’il a été frappé ; c’est pour cela qu’il a été banni ; c’est pour cela qu’il a été « condamné », comme parlent les juges infâmes qui rendent la justice au nom de l’accusé Louis Bonaparte.

Il est mort ; mort de nostalgie comme les autres qui l’ont précédé ici ; mort d’épuisement, mort loin de sa ville natale, mort loin de sa vieille mère, mort loin de son petit enfant. Il a agonisé, car l’agonie commence avec l’exil, il a agonisé trois ans ; il n’a pas fléchi une heure. Vous l’avez tous connu, vous vous en souvenez ! Ah ! c’était un vaillant et ferme cœur !

Qu’il repose dans cette paix sévère ! et qu’il trouve du moins dans le sépulcre la réalisation sereine de ce qui fut son idéal pendant la vie. La mort, c’est la grande fraternité.

Ô proscrits, puisque c’est vrai que cet ami est mort, et que voilà encore un des nôtres qui s’évanouit dans le cercueil, faisons l’appel dans nos rangs ; serrons-nous devant la mort comme les soldats devant la mitraille ; c’est le moment de pleurer et c’est le moment de sourire ; c’est ici la pâque suprême. Retrempons notre conscience républicaine, retrempons notre foi en Dieu et au progrès dans ces ténèbres où nous descendrons tous peut-être l’un