Page:Hugo - Actes et paroles - volume 3.djvu/207

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cet asservissement d’un peuple par un homme, tout ce combat convulsif tremblait encore en moi de la tête aux pieds ; j’étais indigné, éperdu et haletant. Eh bien, Jersey m’a calmé. J’ai trouvé, je le répète, la paix, le repos, un apaisement sévère et profond dans cette douce nature de vos campagnes, dans ce salut affectueux de vos laboureurs, dans ces vallées, dans ces solitudes, dans ces nuits qui sur la mer semblent plus largement étoilées, dans cet océan éternellement ému qui semble palpiter directement sous l’haleine de Dieu. Et c’est ainsi que, tout en gardant la colère sacrée contre le crime, j’ai senti l’immensité mêler à cette colère son élargissement serein, et ce qui grondait en moi s’est pacifié. Oui, je rends grâces à Jersey. Je vous rends grâces. Je sentais sous vos toits et dans vos villes la bonté humaine, et dans vos champs et sur vos mers je sentais la bonté divine. Oh ! je ne l’oublierai jamais, ce majestueux apaisement des premiers jours de l’exil par la nature ! Nous pouvons le dire aujourd’hui, la fierté ne nous défend plus cet aveu, et aucun de mes compagnons de proscription ne me démentira, nous avons tous souffert en quittant Jersey. Nous y avions tous des racines. Des fibres de notre cœur étaient entrées dans votre sol et y tenaient. L’arrachement a été douloureux. Nous aimions tous Jersey. Les uns l’aimaient pour y avoir été heureux, les autres pour y avoir été malheureux. La souffrance n’est pas une attache moins profonde que la joie. Hélas ! on peut éprouver de telles douleurs dans une terre de refuge, qu’il devient impossible de s’en séparer, quand même la patrie s’offrirait. Tenez, une chose que j’ai vue hier traverse en ce moment mon esprit, cette réunion est à la fois solennelle et intime, et ce que je vais vous dire convient à ce double caractère. Écoutez. Hier, j’étais allé, avec quelques amis chers, visiter cette île, revoir les lieux aimés, les promenades préférées jadis, et tous ces rayonnants paysages qui étaient restés dans notre mémoire comme des visions. En revenant, une pensée pieuse nous restait à satisfaire, et nous avons voulu finir notre visite par ce qui est la fin, par le cimetière.

Nous avons fait arrêter la voiture qui nous menait devant ce champ de Saint-Jean où sont plusieurs des nôtres. Au