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PENDANT L’EXIL. — 1868.

et le holà dit aux rois, c’est la paix ; ce serait la France et la Prusse neutralisées, la guerre entre les monarchies militaires impossible par le seul fait de la révolution présente, la muselière mise à Sadowa comme à Austerlitz, la perspective des tueries remplacée par la perspective du travail et de la fécondité, Chassepot destitué au profit de Jacquart ; ce serait l’équilibre du continent brusquement fait aux dépens des fictions par ce poids dans la balance, la vérité ; ce serait cette vieille puissance, l’Espagne, régénérée par cette jeune force, le peuple ; ce serait, au point de vue de la marine et du commerce, la vie rendue à ce double littoral qui a régné sur la Méditerranée avant Venise et sur l’Océan avant l’Angleterre ; ce serait l’industrie fourmillant là où croupit la misère ; ce serait Cadix égale à Southampton, Barcelone égale à Liverpool, Madrid égale à Paris. Ce serait le Portugal, à un moment donné, faisant retour à l’Espagne, par la seule attraction de la lumière et de la prospérité ; la liberté est l’aimant des annexions. Une république en Espagne, ce serait la constatation pure et simple de la souveraineté de l’homme sur lui-même, souveraineté indiscutable, souveraineté qui ne se met pas aux voix ; ce serait la production sans tarif, la consommation sans douane, la circulation sans ligature, l’atelier sans prolétariat, la richesse sans parasitisme, la conscience sans préjugés, la parole sans bâillon, la loi sans mensonge, la force sans armée, la fraternité sans Caïn ; ce serait le travail pour tous, l’instruction pour tous, la justice pour tous, l’échafaud pour personne ; ce serait l’idéal devenu palpable, et, de même qu’il y a l’hirondelle-guide, il y aurait la nation-exemple. De péril point. L’Espagne citoyenne, c’est l’Espagne forte ; l’Espagne démocratie, c’est l’Espagne citadelle. La république en Espagne, ce serait la probité administrant, la vérité gouvernant, la liberté régnant ; ce serait la souveraine réalité inexpugnable ; la liberté est tranquille parce qu’elle est invincible, et invincible parce qu’elle est contagieuse. Qui l’attaque la gagne. L’armée envoyée contre elle ricoche sur le despote. C’est pourquoi on la laisse en paix. La république en Espagne, ce serait, à l’horizon, l’irradiation du vrai, promesse pour tous, menace pour le mal seulement ; ce serait ce géant,