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PARIS ET ROME.

l’un des deux partis avait écrasé l’autre ; on ne se donnait plus de coups de couteau, mais les plaies restaient ouvertes ; et à la bataille avait succédé cette paix affreuse et gisante que font les cadavres à terre et les flaques de sang figé.

Il y avait des vainqueurs et des vaincus ; c’est-à-dire d’un côté nulle clémence, de l’autre nul espoir.

Un unanime vae victis retentissait dans toute l’Europe. Tout ce qui se passait pouvait se résumer d’un mot, une immense absence de pitié. Les furieux tuaient, les violents applaudissaient, les morts et les lâches se taisaient. Les gouvernements étrangers étaient complices de deux façons ; les gouvernements traîtres souriaient, les gouvernements abjects fermaient aux vaincus leur frontière. Le gouvernement catholique belge était un de ces derniers. Il avait, dès le 26 mai, pris des précautions contre toute bonne action ; et il avait honteusement et majestueusement annoncé dans les deux Chambres que les fugitifs de Paris étaient au ban des nations, et que, lui gouvernement belge, il leur refusait asile.

Ce que voyant, l’habitant solitaire de la place des Barricades avait décidé que cet asile, refusé par les gouvernements à des vaincus, leur serait offert par un exilé.

Et, par une lettre rendue publique le 27 mai, il avait déclaré que, puisque toutes les portes étaient fermées aux fugitifs, sa maison à lui leur était ouverte, qu’ils pouvaient s’y présenter, et qu’ils y seraient les bienvenus, qu’il leur offrait toute la quantité d’inviolabilité qu’il pouvait avoir lui-même, qu’une fois entrés chez lui personne ne les toucherait sans commencer par lui, qu’il associait son sort au leur, et qu’il entendait ou être en danger avec eux, ou qu’ils fussent en sûreté avec lui.

Cela fait, le soir venu, après sa journée ordinaire de promenade solitaire, de rêverie et de travail, il rentra dans sa maison. Tout le monde était déjà couché dans le logis. Il monta au deuxième étage, et écouta à travers