Page:Hugo - L'Année terrible, 1872.djvu/325

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Je lui rejetterais nos maux et nos désastres ;
J’aurais tout l’Océan pour m’en laver les mains ;
Il ferait mes erreurs, ayant fait mes chemins ;
Je serais l’innocent, il serait le coupable.
Cet être inaccessible, invisible, impalpable,
J’irais, je le verrais, et je le saisirais
Dans les cieux, comme on prend un loup dans les forêts,
Et terrible, indigné, calme, extraordinaire,
Je le dénoncerais à son propre tonnerre !

Oh ! si le mal devait demeurer seul debout,
Si le mensonge immense était le fond de tout,
Tout se révolterait ! Oh ! ce n’est plus un temple
Qu’aurait sous les yeux l’homme en ce ciel qu’il contemple,
Dans la création pleine d’un vil secret,
Ce n’est plus un pilier de gloire qu’on verrait ;
Ce serait un poteau de bagne et de misère.
A ce poteau serait adossé le faussaire,
A qui tout jetterait l’opprobre, et que d’en bas
Insulteraient nos deuils, nos haillons, nos grabats,
Notre faim, notre soif, nos vices et nos crimes ;
Vers lui se tourneraient nos bourreaux ses victimes,
Et la guerre et la haine, et les yeux du savoir
Crevés, et le moignon sanglant du désespoir ;
Des champs, des bois, des monts, des fleurs empoisonnées,
Du chaos furieux et fou des destinées,
De tout ce qui parait, disparaît, reparaît,
Une accusation lugubre sortirait ;