Page:Hugo - L'Année terrible, 1872.djvu/87

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Qu’en ce triomphe horrible et sombre il la submerge,
Que dans ce lit d’opprobre il couche cette vierge,
Qu’il montre à l’univers, sur un immonde char,
L’Amérique baisant le talon de César,
Oh ! cela fait trembler toutes les grandes tombes !
Cela remue, au fond des pâles catacombes,
Les os des fiers vainqueurs et des puissants vaincus !
Kosciusko frémissant réveille Spartacus ;
Et Madison se dresse et Jefferson se lève ;
Jackson met ses deux mains devant ce hideux rêve ;
Déshonneur ! crie Adams ; et Lincoln étonné
Saigne, et c’est aujourd’hui qu’il est assassiné.

Indigne-toi, grand peuple. O nation suprême,
Tu sais de quel cœur tendre et filial je t’aime.
Amérique, je pleure. Oh ! douloureux affront !
Elle n’avait encor qu’une auréole au front.
Son drapeau sidéral éblouissait l’histoire.
Washington, au galop de son cheval de gloire,
Avait éclaboussé d’étincelles les plis
De l’étendard, témoin des devoirs accomplis,
Et, pour que de toute ombre il dissipe les voiles,
L’avait superbement ensemencé d’étoiles.
Cette bannière illustre est obscurcie, hélas !
Je pleure… - Ah ! sois maudit, malheureux qui mêlas
Sur le fier pavillon qu’un vent des cieux secoue
Aux gouttes de lumière une tache de boue !